Maintenir une dynamique collective avec des exploitations plurielles
Les formes d'exploitation se diversifient. Comment garder une cohérence économique. La table ronde organisée lors de l'assemblée de la Fdsea s'est penchée sur la question.
"Depuis les années 50, notre conception de l'agriculture a toujours été basée sur l'exploitant qui détient le capital et travaille sur son exploitation dont il assume la totale gouvernance. Mais force est aujourd'hui de constater que les situations sont de plus en plus diverses et divergent de ce modèle. Et cela pose questions. Quel est le modèle qu'il nous faut défendre dans la Somme pour les années à venir ? Mais surtout, comment conserver une dynamique agricole malgré cette diversité de structures ? Quel est le dénominateur commun pour établir un projet pour la ferme Somme ? Comment la Fdsea peut-elle fédérer l'ensemble des agriculteurs du département ?" C'est en ces termes que Laurent Degenne, président de la Fdsea, a introduit la problématique débattue lors de la table ronde qui réunissait Luc Smessaert, président de la Frnbp (Fédération régionale Nord Bassin parisien) et vice-président de la Fnsea, et Jean-Louis Chandelier, directeur de Gaec et Sociétés.
54% des agriculteurs sont en société
Ce dernier a brossé un tableau de la situation. Il ne faudrait pas croire que le modèle d'agriculture familiale tend à disparaître. Il est aujourd'hui loin d'être minoritaire, a-t-il expliqué en substance. Mais les formes d'exploitation ont évolué. Et de citer quelques chiffres illustrant cette évolution. 14% des exploitants sont à présent pluriactifs et 30% des installations se font en pluriactivité. L'agriculteur ne s'arrête pas forcément de travailler à 60 ans, 12% ont dépassé cet âge. Le tiers des personnes qui s'installent avec le statut de chef d'exploitation ont plus de 40 ans et s'installent donc en dehors du cursus classique.
Et surtout ce qui a changé, c'est le fort développement du phénomène sociétaire qui détache l'agriculteur de l'exploitation. Autrefois l'exploitant travaillait seul. Maintenant, 54% des exploitants travaillent en société, et les formes sociétaires se sont diversifiées depuis le Gaec jusqu'à la holding. Et l'on compte même aujourd'hui 40 000 agriculteurs qui sont à la tête de deux ou plusieurs structures. Bref, tout cela fait que la situation de l'agriculteur n'est pas toujours facile à appréhender.
Le statut de l'agriculteur en question
Derrière cette problématique se trouve sous jacente la question du statut de l'agriculteur, question qui a été au coeur du dernier congrès de la Fnsea à Biarritz. "On a cherché des solutions du côté des formes sociétaires pour nos exploitations, mais on a un peu oublié le statut de l'exploitant. Quel est-il ? Nous avons besoin de le préciser aujourd'hui", a réagi Luc Smessaert.
"Un statut, poursuit-il, ce n'est pas qu'une question de protection sociale, de surface... Il faut une véritable exploitation derrière. Attention par conséquent aux dérives", prévient-il, le risque réel étant de voir se développer des exploitations sans exploitant. Ce que l'on appelle l'agriculture de firme. Des sociétés viennent investir dans le capital d'exploitation ou dans le foncier. "Sont-elles encore de vrais exploitants ?" s'interroge Jean-Louis Chandelier. "En tout cas cela ne correspond pas au schéma d'exploitation que nous souhaitons : une personne qui a un projet et qui veut développer son entreprise".
Eviter les dérives
Le projet de loi d'avenir de l'agriculture, toujours en discussion au Parlement, va-t-il donner des moyens pour contrecarrer cette évolution ?
La Fnsea a proposé de "mettre un pansement" sur deux situations fréquentes, a expliqué Jean-Louis Chandelier. Premier cas, l'absorption de la ferme du voisin avec lequel on s'est mis en société.
Lorsque ce voisin part à la retraite, son exploitation vient automatiquement agrandir l'autre ferme, sans contrôle. Avec la future loi, dans le délai de cinq ans, la Safer aura un droit de regard sur les transferts de parts et en cas de départ à la retraite d'un associé, il faudra demander une nouvelle autorisation d'exploiter.
Deuxième cas, la reprise des biens de famille. La Fnsea souhaitait qu'elle ne soit plus automatique et que l'on compare le projet du repreneur avec celui du fermier. Cela a été refusé. Ce qui a été voté pour l'instant, c'est la possibilité de reprendre sans contrôle si la surface est inférieure à celle nécessitant une autorisation d'exploiter. Mais rien n'est encore définitif.
Et comme le fait observer Jean-Louis Chandelier, il y aura toujours des moyens de contourner la règlementation, sachant aussi qu'on ne fait pas ce que l'on veut avec le droit. Par exemple, il est possible de préempter sur l'usufruit, mais jamais sur la nu propriété.
Le risque de la simplification
"Le projet de loi d'avenir n'amène pas de réponses au besoin de définition du statut de l'exploitant, ni au problème de démantèlement des exploitations et à leur évolution capitalistique", estime Luc Smessaert. Ce qui peut faire craindre pour le maintien et le développement de filières fortes. "Quand des gens reprennent pour faire à façon, on va vers la simplification", constate le président de la Frnbp. "Ce sont des gens qui ne s'impliquent pas dans la création de valeur ajoutée, dans le devenir du produit, pas plus d'ailleurs que dans le syndicalisme ou les filières. Et cela peut remettre en cause les organisations que nos parents ont créées".
Le cas des holdings
Ce n'est pas la diversité des exploitations qui fait problème, ni les diverses formes de sociétés qui permettent de répondre à tel ou tel besoin. Le problème ce sont les dérives. "Il existe des schémas que l'on ne souhaite pas voir se développer, commente Jean-Louis Chandelier. En particulier les holdings qui se multiplient aujourd'hui. Ce montage permet de ne pas payer trop d'impôt ni de cotisations sociales. On a ainsi des Scea, des apporteurs de capitaux qui sont d'abord l'exploitant, son épouse. En distribuant le capital progressivement, on arrive à mieux transmettre l'exploitation tout en restant dirigeant.
Mais après, le capital aura grossi car le principe de la holding est de ne pas distribuer le résultat. On va donc chercher à renforcer l'outil, à s'agrandir et arriver à terme à des exploitations qui ne sont plus transmissibles. Elles seront peut-être alors rachetées par des sociétés industrielles, des banques. On le voit déjà aujourd'hui. Celles-ci vont simplifier les systèmes, avec pour seul objectif la rentabilité au profit des actionnaires. C'est au bout du processus la disparition des paysans".
Pour une cohérence économique
Pour Laurent Degenne, "l'enjeu est d'amener et maintenir les exploitants dans la même cohérence économique. D'éviter en tout cas la désintensification et la perte de valeur ajoutée qui s'ensuit". Comme le précise Jean-Louis Chandelier, "l'exploitant est certes maître chez lui, mais il n'est rien sans les autres, sans les débouchés, les infrastructures... Un bon outil de travail ne vaut rien, s'il n'y a rien autour".
Il n'y a pas de dynamique sans prise de conscience collective. "Affirmons le modèle d'exploitation que nous voulons", souligne Luc Smessaert. Concrètement, "des exploitations professionnelles avec un vrai statut de l'actif, des agriculteurs responsables pour bâtir une agriculture forte et plurielle".
EN RESUME
Ce que défend la Fnsea, c'est que l'agriculteur soit considéré comme tel, quel que soit son statut social. Qu'il soit majoritaire dans le capital social. Qu'il n'ait pas de lien de subordination. Que l'exploitation soit professionnelle avec un certain volume d'activité - pas le 1/8ème de la Smi comme le prévoit la loi d'avenir. Que l'on puisse être reconnu agriculteur lorsqu'on a l'expérience ou les diplômes. Et que cette définition de l'agriculteur soit mise en lien avec celle de l'actif défini dans la règlementation Pac. En résumé, avoir un projet économique et avoir les mains libres pour le conduire, c'est cela être agriculteur. La discussion se poursuit sur ce sujet avec le cabinet du ministre.