OP des betteraviers de Roye : les adhérents ne plient pas
Les adhérents de l’OP ne cèdent pas à la pression de l’industriel.
En cette fin novembre, le groupe Saint Louis Sucre a musclé ses interventions auprès de ses planteurs, avec des sollicitations et des pressions auprès des producteurs pour dénigrer et faire avorter l’OP. Le rapport de force a touché son paroxysme vendredi dernier, avec un message transmis aux planteurs, rejetant toute forme de discussion avec l’OP des Betteraviers de Roye, et donc exprimant très clairement que les surfaces dont il a besoin pour son activité ne seront proposées qu’aux producteurs n’y adhérant pas. Il n’en fallait pas plus aux représentants de l’OP pour convoquer une réunion de leurs adhérents, et leur demander de se positionner dans ce contexte. Ils étaient donc 180 à la salle des fêtes de Carrepuis pour exprimer les questions soulevées, et décider de la suite à donner au projet d’OP.
Poker menteur
Premier acte de discussion, qui recueille combien d’adhésions ? Et là, premier élément de bluff. L’OP des Betteraviers de Roye recueille, au 22 novembre, 450 planteurs, dont 30 % nouveaux adhérents qui ont rejoint la Scica pour ce projet d’OP, représentant un rapport contractuel de 640 000 tonnes. Chiffre attesté. Ce tonnage représente 31 % du tonnage potentiellement travaillé à l’usine de Roye en 2020-2021. En effet, dans le projet de restructuration de son bassin, Saint Louis Sucre annonce, suite à la fermeture de l’usine d’Eppeville, la montée en puissance de celle de Roye à hauteur de 125 jours de campagne. Avec une base quotidienne de 14 000 t, cela représenterait un contingent de 2 100 000 tonnes à 16° ; sur les propos volontaristes de l’industriel d’atteindre également 16 000 t/jour, ce contingent travaillé passerait à 2 400 000 tonnes sur l’année, soit environ 25 000 hectares à emblaver. Tout ça pour ne pas occulter, comme l’a souligné Jean-Jacques Fatous, directeur délégué de la Scica, que «Saint Louis Sucre se doit de garder son potentiel». Pour y parvenir, deux voies : celle de travailler en direct avec les producteurs, ou celle de travailler avec l’OP, ou plutôt avec les OP. Car dans le même temps que s’organisent les producteurs livrant l’usine de Roye, ceux livrant l’usine d’Étrepagny en font de même et ont collecté, de leur côté, l’adhésion de 540 planteurs mobilisant 960 000 tonnes à 16°, soit 65 jours de campagne, ou 52 % du potentiel de l’usine.
Une OP opérationnelle, reconnue, et alliée
Au cours des dernières semaines, dès la parution du décret de reconnaissance des OP dans la filière betterave par le ministère de l’Agriculture, les OP de Roye et d’Étrepagny ont déposé leur demande de reconnaissance ainsi que celle de l’AOP constitué pour les regrouper. Avec un poids cumulé de l’ordre de 1 600 000 tonnes à 16°, un chiffre comparable avec la capacité de travail d’une usine. Toujours est-il que les OP vont en principe être reconnues dans les prochaines semaines et seront des interlocuteurs légitimes. Un point de renforcement pour l’OP. La salle a fourmillé de questions suite aux messages de l’industriel : «mon inspecteur de plaine m’a dit que je n’aurai pas de betteraves en 2020 si je ne signais pas... je fais quoi ?» ; «le mien m’a dit que l’OP dépendait trop du syndicalisme», «le mien m’a dit que je n’aurai plus de pulpes pour mon troupeau», ou encore «le mien m’a dit que je pouvais les rejoindre et dénoncer mon engagement à l’OP pour signer avec eux», et, enfin, «le mien m’a dit qu’ils avaient assez de producteurs et que j’avais encore de la chance qu’on me propose de dénoncer l’OP pour signer en direct avec eux !».
Autant de questions qui témoignent de la très forte pression ressentie, du bras de fer sans précédent qui est en cours. Mais aussi, autant de réponses à apporter, pragmatiquement, ce qu’on fait les responsables. Sur les betteraves, le constat est simple : «Saint Louis Sucre ne peut pas faire fi d’1,6 million de tonnes, il leur faudra discuter, et on sait d’expérience toute la pression qu’il faut mettre pour ne serait-ce que les amener à la table de discussion.». Sur la présence du syndicalisme, Benoit Gerbaux rappelle que «les statuts des Scica obligent à avoir 20 % de parts détenus par des non planteurs. Quand Saint Louis Sucre a quitté la Scica au 12 juillet dernier, il a fallu un apporteur de capitaux pour 20 % des parts. La CGB, par Naples Investissement, a fait cet apport pour préserver les statuts de la Scica et permettre le projet. Elle n’a pas vocation à y rester, mais l’urgence est à unifier les planteurs.» Et Dominique Fievez, président de la CGB Somme de confirmer : «Nous entendons cet argument, mais les faits sont là : nous soutenons le projet, mais il est incarné par une nouvelle génération. On ne peut pas taxer la CGB de tirer les ficelles, mais juste, et c’est bien son rôle, d’aider les producteurs à s’organiser pour être rémunérés au mieux.»
Pour les pulpes et les contrats 2020, le président a rappelé que si l’objectif premier était bien de travailler avec Saint Louis Sucre, des solutions alternatives existaient (voir plus bas). De quoi rassurer. Sauf qu’après la campagne de déstabilisation, la question peut se poser : continue-t-on ou pas le projet ? «Avec les cours actuels, on n’a rien à perdre sur 2020», dit l’un des participants. «Et vu la réaction de Saint Louis Sucre, c’est qu’on est dans la bonne voie», dit l’autre. Toujours est-il que lorsque le président demande un vote à main levée, les doutes sont balayés : les adhérents de l’OP ne cèdent pas au chantage, et font le choix de continuer leur démarche de structuration : de préférence avec Saint Louis Sucre, mais potentiellement avec tout autre opérateur, l’OP va continuer à recueillir des adhésions et à négocier pour ses adhérents !
REACTION Benoit Gerbaux, président de la Scica
«L’OP tient bon, et elle sera toujours ouverte !»
Comment vous sentez-vous dans le bras de fer actuel ?
Rassuré ! La pression de dingue mise en ce moment fait naître de nombreuses peurs sur le terrain, et vu ce qui est dit, on peut le comprendre. Mais cela nous montre aussi quel est le vrai visage de l’industriel et nous conforte dans notre position. Autre point de confort, la solidarité dans l’OP. On s’était posé la question, devant ce chantage, de la réaction des adhérents. Mais en leur âme et conscience, ils choisissent de garder leur ligne. Cela nous rassure, nous confie une grande responsabilité, mais aussi une plus grande force.
Quelle est la situation des discussions avec Saint Louis Sucre ?
Il n’y en a pas à ce stade. Nous allons nous rendre en Allemagne, car c’est là-bas que ça se décide. En France, les dirigeants exécutent les directives. Nous voulons ouvrir la discussion, car notre volonté première est de ne pas s’opposer à l’industriel, mais d’avoir un rapport équilibré, rémunérateur et durable. Sortir de cette situation qui ne cesse de se dégrader depuis plusieurs années, et bâtir une relation plus durable. Quand on pense au chantage que subissent les planteurs, on peut comprendre leur peur, mais comment, dans ces conditions, bâtir une relation saine et durable ?
La signature du contrat SLS est elle plus forte que l’adhésion à l’OP ?
Non, et pour plusieurs raisons. Juridique d’abord : un contrat antidaté, ne faisant pas référence
à un accord interprofessionnel, c’est plus que léger. Ensuite, moralement, que vaut un contrat signé sous une telle pression, certains producteurs ont parlé de menaces, d’avoir eu la sensation
du «pistolet sur la tempe». Ca fait mal d’entendre ça, et c’est révoltant.
Êtes vous inquiets sur l’assolement 2020 de vos adhérents ?
Non. Il y aura des réponses pour tous.
En premier lieu, notre objectif premier est de travailler avec Saint Louis Sucre, et nous le gardons. Cependant, il nous faut préparer des scénarios alternatifs, et il y en a. Ce n’est pas le choix premier des planteurs, mais les adhérents qui étaient présents nous ont donné le feu vert pour y travailler. Nous allons le faire.
Quel message aux producteurs qui n’ont pas adhéré à l’OP ?
L’OP est debout, existante, opérationnelle, significative, ouverte ! Nous accueillerons tous les producteurs qui le souhaiteront dans les prochaines semaines. L’attitude de Saint Louis Sucre est clairement un signe : y aller au bluff et à la menace, ce n’est pas une façon de construire dans la durée. Il faut s’unir pour être aussi forts !