Pour le lait «la politique ne fera pas tout, la force c’est la filière»
Les représentants de la coopérative Lact’Union et l’équipe de l’UPL Picardie ont discuté, ce mercredi 29 mars, des chemins que doit prendre la filière laitière.
Mieux valoriser les produits laitiers, c’est bien, le faire ensemble, c’est mieux. Les lancements de produits régionaux à l’initiative des producteurs et des consommateurs s’accélèrent dans toute l’Europe. Olivier Thibaut, président de l’UPLP, reconnaît que «ça marche ! Les nouveaux produits sont directement absorbés par le marché». Oui, mais : la segmentation, qui a suscité un engouement fort dès le début, montre déjà de réelles limites concernant la filière lait entière.
Dominique Dengreville, vice-président UPLP, et Olivier Thibaut, ont observé que même si la capacité à produire ces nouveaux produits ne pose pas problème, «chacun fait ça dans son coin». Il n’y a pas de réelle cohésion à propos de la segmentation, ni même de discussion, ce qui s’est bien vu au dernier congrès FNPL. Les transformateurs sont restés silencieux tandis que certains producteurs ont tenté de les amener sur le sujet.
Ce foisonnement de nouvelles marques entraînent une multitude de chartes et de cahiers des charges différents, et «plus d’échanges de lait possibles entre les coopératives», s’inquiète Olivier Buiche, directeur de Lact’Union. Chaque distributeur s’empare de cette nouvelle démarche, veut créer son produit, et les coopératives ne sont même plus «maître de décision». Dire non à ces demandes, c’est l’assurance de la perte de gros volumes pour Lact’Union. La situation se répète dans tous les pays du monde et en France. Ce sont ainsi cent millions de litres de lait valorisés pour 2,4 milliards «laissés pour compte».
Autour de la table, tout le monde s’accorde à dire que c’est à la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait) de dire stop. Cette segmentation nourrit la division au sein même des producteurs de lait, la fédération «doit faire prendre conscience à la filière que le risque, c’est l’éclatement de tensions entre nos producteurs», s’inquiète Buiche. Et d’autant que les éleveurs ont déjà fort à faire avec la concurrence sur le marché international.
Une valorisation limitée
Vouloir des produits locaux, c’est bien pour l’environnement et l’économie locale, mais il faut être lucide. On ne peut pas avoir une production de lait biologique suffisante dans la région Hauts-de-France, par exemple. Les types d’exploitations et de productions en France sont aussi diversifiés que les paysages que l’on y trouve et, par ailleurs, assez régionalisés. L’ajout de valeur pose aussi le problème de la limite que l’on souhaite se fixer. Depuis quelques années, c’est la «surenchère vertueuse entre les entreprises. Jusqu’où cela va aller ?», déplore Olivier Buiche.
Ce ne sont pas seulement les produits laitiers qui sont touchés, mais aussi les élevages directement. Prenons exemple des poules pondeuses, dont la législation sur le bien-être animal impose des changements structuraux tous les douze mois, et des éleveurs qui croulent sous les prêts. Tout cela découle d’une demande sociétale qui a des conséquences sur toute la filière animale et végétale : fabrication, production et transformation.
Avoir un socle commun
Ces changements sont incontournables. Alors, comment reprendre la main en lait de consommation ? Lact’Union et l’UPLP font front commun : la filière doit s’organiser, être en cohésion, surfer sur la vague des nouveaux produits à valeur ajoutée, mais le faire ensemble. Les nouveaux produits en lait de consommation doivent répondre à la demande des consommateurs : sans OGM, à l’herbe ou local, mais avec une vraie rémunération. Le juste prix, c’est celui qui prend en compte les surcoûts de production pour les éleveurs, mais aussi les surcoûts d’usine pour les transformateurs. Olivier Buiche affirme que c’est «la condition pour un système de filière viable».
Et de rassurer : «Même si le prix est un peu plus cher, les distributeurs n’iront pas voir à l’étranger, car leur stratégie, c’est le local». Ce prix-là, il faut le garantir sur le marché international avec des outils de régulation de la production. De plus, pour anéantir la concurrence intérieure qui commence à naître, un cahier des charges commun doit être mis en place avec comme un des acteurs de sa construction : le consommateur.
L’agriculture biologique en est une image parfaite de réussite. Les représentants Lact’Union et l’UPLP souhaitent que cette démarche soit réalisée par l’interprofession, que celle-ci devienne le pilier central des professionnels. La filière pourra ainsi être plus compétitive sur le marché international et mieux faire entendre sa voix. Olivier Buiche prévient : «Il faudra dépasser le clivage pour engager le débat avec les privés.»
Communiquer
A l’heure du tout numérique, la stigmatisation de l’élevage est facile. Une vidéo est publiée sur Internet et le monde entier peut y avoir accès. Le président de Lact’Union martèle que «les représentants de la filière doivent s’emparer de ce moyen de communication d’urgence». A eux de faire l’image des éleveurs. Le Cniel et les syndicats sont appelés à communiquer sur les réseaux sociaux à propos de la réalité terrain concernant le bien-être animal, les signes de qualité, comme la Charte des bonnes pratiques d’élevage, qui reste, contrairement à ce que l’on peut penser, peu connue.
Le but est aussi d’avoir une vision claire de l’organisation de la filière pour tous les acteurs. Il faut réagir surtout lorsqu’en période de crise les recommandations du Haut Conseil de la santé publique passent de trois à deux produits laitiers par jour. De la même manière quand certains produits carnés ont été déclarés cancérigènes…
La communication devra se faire aussi entre les acteurs de la filière pour trouver un accord et une organisation viable. La démarche doit être volontaire car, comme Olivier Buiche le dit, «la politique ne fera pas tout, la force c’est la filière».