Procédure «Agriculteur en situation fragile» : ni un tabou, ni une sanction, mais des solutions
Il n’y a pas un agriculteur par les temps qui courent qui échappe à la crise actuelle. La question est la suivante : comment sortir durablement de la crise agricole qui frappe la profession ? Tour de table avec la Direction départementale des territoires et de la mer, la MSA Picardie, CerFrance Somme, la Chambre d’agriculture, Solidarité Paysans et la coopérative Noriap. Point sur le dispositif Agridiff et témoignage d’un agriculteur.
«Avoir des difficultés, ce n’est pas une maladie honteuse»
«Quand on s’est brûlé une fois, on a toujours la peau sensible ensuite», confie Luc Vermersch. Sa manière pudique à lui de dire que la crise que connaît l’agriculture aujourd’hui, et à laquelle il n’échappe pas, ravive des souvenirs difficiles. «Né avec la Pac», ainsi qu’il se présente, Luc Vermersch s’installe en Gaec avec sa sœur en 1992 à Ville-le-Marclet. Frère et sœur gèrent un élevage de quatre-vingt truies et 140 hectares sur lesquels ils cultivent du blé, de l’orge, du colza, de la betterave, de la pomme de terre fécule et des semences fourragères. L’exploitation tourne rondement jusqu’à la chute des cours du porc à la fin des années 1990.
Ils s’accrochent en mettant des stratégies en place, mais avec des moyens réduits, faute de finances. «Ma première réaction a été de me dire que j’étais dur au mal, et donc que j’allais m’en sortir. Je me suis mis dans le boulot à fond, mais sans saisir que c’était parfois à tort et à travers», raconte Luc Vermersch. La baisse étant progressive, ils ont du mal à se rendre compte de la chute qui s’amorce. «On a une grande capacité à faire l’autruche. Mon raisonnement était de dire qu’après des jours de merde viendraient de bons jours, sauf que cela a duré trois ans», se souvient celui-ci.
La honte commence à les submerger peu à peu, parce qu’ils n’arrivent pas à s’en sortir. En parler aux autres ? Trop difficile. Entre la culpabilité ressentie et la peur du regard de l’autre, frère et sœur serrent les dents, font le dos rond et continuent à avancer. L’EBE lui aussi avance, mais dans le sens contraire. C’est madame qui fait bouillir la marmite, en l’absence de revenus qui rentrent sur l’exploitation agricole. Leur première idée pour s’en sortir est de développer la porcherie et de moderniser l’outil, qui a alors plus de vingt-cinq ans. Ainsi, pensent-ils, ils pourront dégager des revenus pour les deux associés. Le responsable en charge du recouvrement de leur coopérative met le holà. «Tu fais fausse route», prévient-il.
Le dispositif Agridiff
Et le responsable du recouvrement de poser la question qui dérange : «Que voulez-vous faire dans dix ans ?» Sur le moment, Luc Vermersch est choqué. «J’avais trente ans. Je me suis dit, quel con. Je veux être paysan. Pourquoi pose-t-il cette question ? Sauf que quatre ans plus tard, ma frangine changeait de métier. J’ai compris alors que sa question faisait sens.» L’élu de la coopérative en charge des dossiers Agridiff l’incite à déposer un dossier porc. Au même moment, Luc Vermersch décide de remettre sa démission au poste d’administrateur de sa coopérative. Son président la lui refuse, lui expliquant que tous les agriculteurs, un jour ou l’autre, connaissent des déboires avant de remonter la pente. Une phrase bienveillante à laquelle il s’est accroché, et qui fait toujours sens pour lui aujourd’hui.
Il lui faudra cependant quelques mois avant de se décider à entrer dans le dispositif Agridiff. Son inquiétude ? Que la banque les classe dans les catégories les plus risquées. Cela ne manque pas. Luc Vermersch grince encore des dents à ce souvenir. «Je n’étais pas dans les catégories à risque. Nous n’avions pas de retard sur nos paiements. Il n’empêche. La machine bancaire s’est quand même mise en route», regrette-t-il. Mais, aujourd’hui, avec le recul, Luc Vermersch ne regrette pas d’avoir déclenché le dispositif Agridiff.
«Avoir un regard étranger sur ce que l’on fait dérange aux entournures, mais c’est salutaire. D’autant que l’on n’est pas jugé. Puis, c’est impératif pour s’en sortir que quelqu’un de l’extérieur à l’exploitation apporte son regard et détermine un état des faits. S’entendre dire que l’on n’est pas au rendez-vous des performances techniques bouscule. Je n’étais pas bon, c’est tout. Je me suis dit alors que j’aurais dû le savoir avant qu’on ne me le dise. Mais quoi qu’il en soit, on n’a pas à se sentir coupable, ni honteux de ce qui arrive. Avoir des difficultés, ce n’est pas une maladie honteuse», commente-t-il.
Le bout du tunnel
Etape suivante : montage du dossier et mise en place de solutions permettant d’améliorer la situation pour retrouver de l’EBE. Un réaménagement des prêts est également accordé et l’exploitation obtient, par ailleurs, quelques fonds d’allégement des charges. Frère et sœur remontent la pente. Mais le dispositif n’est pas un tout. «On s’en sort, au final, par soi-même. Il faut la volonté chevillée au corps, car le chemin est long et douloureux», avoue Luc Vermersch.
Mais cette fois-ci, avec la crise qui secoue la profession, le chemin risque d’être encore plus difficile, car les rangs des agriculteurs en difficulté n’ont de cesse de grossir. «Entre les difficultés de l’élevage et la moisson de cet été catastrophique, la crise est encore plus violente, car cette année on passe d’un petit revenu à un revenu négatif. Le choc, du coup, est encore plus violent, et beaucoup savent qu’ils n’auront pas la possibilité de faire face. Il n’est pas honteux de se poser la question d’arrêter, parce qu’on embarque derrière soi sa famille. Une fois cela dit, ceux qui veulent s’en sortir, ne doivent pas hésiter à chercher des solutions durables avec leurs partenaires. Le dispositif Agridiff de l’Etat est un des éléments de la solution.»
Retrouvez notre dossier «agriculteurs en difficulté» dans l’intégralité, dans votre journal l’Action Agricole Picarde.