SERIE DIVERSIFICATION 5/8 : les Canards de la Germaine, une idée originale en vente directe
Chaque semaine, nous rencontrons un agriculteur qui fait le pari de la diversification. Xavier Delorme et sa famille ont fait de leur élevage de volailles un véritable lieu touristique.
Chez les Delorme, la vente directe est une histoire de famille. Xavier, cogérant avec sa femme Dominique des Canards de la Germaine, du nom de la rivière qui traverse Sancourt, a même découvert que son arrière-grand-mère mettait en avant ses œufs vendus sur place grâce à un concours de volailles qu’elle avait remporté à Paris, en 1923. «Je n’ai rien inventé», s’amuse l’agriculteur.
Pourtant, son exploitation est bien le résultat de l’idée innovante qu’il a eue en reprenant l’exploitation familiale de polyculture de 80 ha, à seize ans, à la fin des années 1970. «Je voulais produire quelque chose de différent, pour vendre sans intermédiaire, raconte-t-il. Les endives étaient un marché saturé. Finalement, un ami m’a donné l’idée du foie gras. A l’époque, il n’y avait qu’un seul producteur picard, à Beauvais.» Il y effectuera une première formation, avant de peaufiner son savoir-faire dans l’Ouest, région phare du foie gras.
Les terres sont revendues, hormis 7,5 ha de prairies pour les volailles, nourries en grande partie à l’herbe, et pour le foin, produit pour les quelques chevaux de la famille. Les cinq premiers canards arrivent en 1979. Deux cents sont transformés puis commercialisés pendant l’hiver 1981. «Au départ, je participais à des foires expo. Mais le contact avec les clients n’était pas celui que j’espérais. Je voulais que les gens viennent chez moi pour que je leur explique mon métier.»
Très vite, les Delorme sentent que le concept plait énormément. Ils créent alors une ferme auberge, résultat d’un an et demi de travaux, et deviennent la première exploitation de la Somme à obtenir la marque Bienvenue à la ferme, en 1990. Depuis, à force d’huile de coude, la structure ne cesse de se développer. La ferme comprend aujourd’hui cinq chambres d’une capacité d’accueil de vingt-quatre personnes, et une aire d’accueil labellisée Réseau France passion, où quatre cents camping-cars se succèdent chaque année, de mars à octobre.
Les mulards pour un foie gras d’exception
Mille canards, pour le foie gras, et quatre mille cannes, valorisées en pâté, sont élevés en plein air, puis abattus et transformés sur place. Il s’agit de mulards, «plus résistants que les canards de Barbarie et avec lesquels on obtient de meilleurs résultats en foie gras, explique Xavier. Ils arrivent de Rosult (59) à quatre semaines, et nous les élevons jusque quatre mois. Les mâles vont ensuite au gavage, au maïs entier, pendant quatorze ou quinze jours.» Comptez 4,7 kg pour un mâle et 4 kg pour une femelle dodue à souhait.
Xavier et Dominique, ainsi qu’un des deux salariés, travaillent le foie à chaud pour en tirer le meilleur goût. Cinq heures maximum s’écoulent entre l’abattage et la cuisson. Ainsi, une tuerie équivaut à cinquante canards au maximum. «Nous en avons pour la matinée complète. Puis quatre jours de travail suivent pour tout transformer.» Les produits, une fois en bocaux, sont soigneusement présentés dans la boutique, dans la cour de la ferme : foie gras cru, au torchon, fourré aux figues, mais aussi rillettes de canard et de coq, terrine de canard à l’armagnac, au poivre vert, aux pistaches, aux noisettes, confits, magrets, cuisses, et gésiers préparés, volailles à rôtir…
En complément de l’acticivité, 6 500 poules pondeuses sont aussi élevées en plein air. Les œufs sont vendus sous la marque Cocorette, mais aussi en direct, évidemment. A cela s’ajoutent les animations nées de l’imagination des Delorme : location de poneys et balades en calèche, visite de la petite ferme pédagogique (poules d’ornement, chèvres, dindons…), soirées omelettes, avec dégustation de la vingtaine de recettes différentes. Dernièrement, Anne-Sophie, une des deux filles, a aussi mis en place une formule une nuit pour deux avec petit déjeuner, commercialisée en coffret Wonderbox.
H5N1 : la hantise
Une histoire toute rose ? Pas si évident. Une ombre, en particulier, est venue entacher le tableau vers 2005. Nommée grippe aviaire, ou virus H5N1, elle a bien failli fermer définitivement le caquet des Canards de la Germaine. «Nous n’avons eu aucun cas dans notre élevage, se souvient Xavier. Mais la population était tellement méfiante que notre chiffre d’affaires a baissé drastiquement. Dix-sept cars de tourisme ont été annulés en l’espace de trois mois. Nous avons dû licencier trois personnes...» Les Delorme ont même, à cette époque, participé à une formation en élevage porcin dans l’optique d’une reconversion. Mais la famille a finalement su se relever. La dernière épidémie, en 2017, causa moins d’impact.
C’est là où tout le savoir-faire de la vente directe fait la différence : «Il faut savoir expliquer aux gens, les rassurer en montrant que nous sommes experts de notre métier, et que nous le faisons découvrir en toute transparence.»
Gérer la saisonnalité du foie gras
Un produit de luxe. C’est ainsi qu’est décrit le foie gras, qu’il soit de canard ou d’oie. Vendu 14,90 euros les 120 g, entier, aux Canards de la Germaine, il est à déguster avec parcimonie. C’est d’ailleurs ce qui en fait un produit très saisonnier, dont les fins gourmets raffolent particulièrement en période de fêtes. «Jusqu’à huit mille personnes viennent acheter nos produits de novembre à décembre, assure Xavier Delorme. Pendant ces deux mois, nous écoulons 60 % de la production.»
Alors pour équilibrer les comptes le reste de l’année, les activités satellites au foie gras (accueil de camping-car, hébergement, balades à poney et en calèche…) sont les bienvenues. L’atout principal de la ferme, pour faire venir les touristes : la situation géographique stratégique. «Nous sommes situés au centre du périmètre d’Amiens, Saint-Quentin, Compiègne, Péronne, et à proximité des grands axes de l’A29, de l’A26 et de l’A1. Nous attirons ainsi une clientèle en majorité régionale, mais également du reste de la France. Les étrangers, Belges, Allemands, Hollandais et quelques Italiens, sont aussi de plus en plus nombreux.» Pour attirer toujours plus, Anne-Sophie Delorme met le paquet sur la communication. Nouveau logo, nouveau site internet et projet de mise en place d’une plateforme de vente en ligne… Les Canards de la Germaine entrent dans l’ère inévitable du marketing numérique.
Petite quantité, grande qualité
Avec un produit qui cartonne autant, les Delorme auraient pu être tentés de développer la production. Mais Xavier n’en voit pas l’intérêt. «Il faudrait développer les outils. Un nouvel abattoir et atelier de transformation est un investissement lourd, d’au moins 300 000 euros. Augmenter les charges et le travail pour un bénéfice pas beaucoup plus élevé n’est pas intéressant…» L’idée de s’écarter de la seule vente directe ne plaît pas non plus à l’exploitant. «Et surtout, je ne veux pas renoncer à la qualité. Je préfère faire moins, mais bien le faire.»