Gastronomie
Une histoire vraie de la raclette IGP de Savoie
Au cœur de la vallée de la Maurienne, à 1500 mètres d’altitude, le GAEC de Ardoisiers élève des vaches de race Abondance et Tarine dont le lait sert à la fabrication de la raclette de Savoie et du beaufort. Les deux en suivant les cahiers des charges de signes officiels de qualité.
Au cœur de la vallée de la Maurienne, à 1500 mètres d’altitude, le GAEC de Ardoisiers élève des vaches de race Abondance et Tarine dont le lait sert à la fabrication de la raclette de Savoie et du beaufort. Les deux en suivant les cahiers des charges de signes officiels de qualité.
Dans cette partie de la France laitière et fromagère, on n’a pas trop de mal à l’avouer : «Le prix du lait, ce n’est pas tellement une préoccupation». Le fait que 100 % de la production du lait du Gaec des Ardoisiers soit destiné à la fabrication de deux fromages emblématiques de Savoie y est pour beaucoup. Cela leur garantit en effet une rémunération plus forte que s’il était lié au marché européen du lait. Niché dans le hameau de Montdenis, rattaché à la commune de Saint-Julien-Mont-Denis, le Gaec des Ardoisiers, c’est d’abord une affaire de famille. Pascal Moris et son épouse Geneviève – elle préfère qu’on l’appelle Ginou – sont associés et devraient accueillir au sein de la structure leur fille Pauline d’ici quelques temps ; celui de conclure son parcours scolaire puis les démarches pour s’installer. Originaires du Beaufortain, ils se sont installés à Montdenis en 2020. «On a eu un coup de cœur pour ce village», explique Ginou. Ils sont aujourd’hui à la tête d’un troupeau d’une quarantaine de vaches de race Tarine et Abondance. Une cohabitation qui permet de profiter des qualités intrinsèques des deux races : «On fait un peu plus de lait avec l’Abondance qui a aussi une plus forte carcasse, mais elle est plus fragile», détaille par exemple Pascal.
Lait à l’herbe d’alpage
A 1500 mètres d’altitude, leur exploitation ne ressemble en rien à celles installées plus bas, dans la vallée, «avec de grands bâtiments et de grands troupeaux», poursuit l’éleveur. Ici, les installations sont modestes, mais le parcellaire est groupé, ce qui représente un avantage. Le couple d’éleveurs profite aussi d’environ 500 hectares d’alpages – jusqu’à 2500 mètres –, grâce à une convention avec une association foncière pastorale (AFP). Les animaux y sont installés à partir du mois de mai, jusqu’en octobre ; le reste du temps, elles sont logées à l’étable. «Cette année (2022), on a pu les sortir à partir du 20 avril, mais cela reste exceptionnel. D’habitude, c’est plutôt mi-mai», rapporte M. Moris. C’est pendant cette période que la production de lait par vache est la plus forte, avec un autre avantage de taille : «Nourrir les animaux à l’herbe ne coûte pas cher…» Avant d’être pâturée, l’herbe de l’alpage est aussi récoltée, ce qui permet de faire des stocks pour l’hiver.
Cinq étapes de fabrication
Pendant la période d’estive, la traite s’effectue à l’alpage, avec une salle de traite mobile, équipée de quatre postes. Le lait est ensuite descendu jusqu’à la ferme où il est transvidé dans un tank. Chaque matin, le lait de la traite du soir précédent et du matin est collecté. Une partie du volume est livré à la Coopérative de La Chambre pour servir à la fabrication du beaufort AOP ; une autre part du lait est conservée par Ginou qui l’utilise pour la fabrication de la raclette. «En général, explique-t-elle, je commence la fabrication de la raclette en septembre». Il ne s’agit pas d’une raclette «banale» puisqu’elle bénéfice d’un signe officiel de qualité. La Raclette de Bonne Mine – l’autre surnom de Geneviève Moris – répond au cahier des charges de la raclette IGP de Savoie, et elle est «fermière» de surcroit. En les mois de novembre et février, elle en fabrique environ 330. «Nous sommes engagés depuis 30 ans dans l’AOP Beaufort, mais j’ai toujours voulu fabriquer moi-même, raconte l’éleveuse-fromagère qui a suivi un cycle de formation avant de se lancer. Je m’épanouis dans la fabrication. J’ai voulu trouver une diversification qui ne passe pas concurrence au beaufort. Avec la raclette, je valorise le lait d’hiver». Les particularités de la fabrication de la raclette font «qu’on ne s’ennuie pas», témoigne Ginou. Et de détailler les cinq étapes à suivre, à commencer par la préparation et maturation du lait à 32°. Vient ensuite le décaillage, puis les étapes du délactosage et du désérumage qualifiées d’«essentielles» puisqu’elles vont permettre d’obtenir un bon filant lors de la fonte de la raclette et lui garantir son crémeux et son fondant. L’avant-dernière étape est le moulage-pressage, et enfin l’affinage. La raclette est un fromage à croûte lavée, de forme cylindrique dont le diamètre doit être de 35 centimètres, et l’épaisseur comprise entre 5 et 7 centimètres. Chacun de ces critères est vérifié avant une période d’affinage qui dure au minimum 2 mois. Au Gaec des Ardoisiers, l’affinage s’effectue à la maison, dans une cave en pierre, sur des planches d’épicéa : «Pendant ces 8 semaines, des soins lui sont apportés tous les jours. Un jour on brosse la meule, le lendemain on la retourne. Ce sont ces soins qui lui donnent cette croûte lavée rose-orangée si caractéristique», détaille Ginou.
Fromages et conserves
Pour fabriquer une raclette, il faut entre 50 et 60 litres de lait. «On ne cherche pas à faire de la quantité. Il faut que cela reste une raclette d’exception», assure la fromagère. Rien à voir donc avec celles que l’on peut trouver sous des marques nationales ou de distributeur dans les grandes sur-faces. La raclette Bonne Mine est vendue chez des détaillants indépendants : un fromager-crémier installé à Annecy, des restaurants, un primeur lyonnais, et le bouche-à-oreilles. Des visites «en immersion» au cours desquelles il est possible de suivre Pascal, Ginou et Pauline depuis chez eux jusqu’à l’alpage permet de tout comprendre de la fabrication du beaufort, comme du fromage à raclette, et de partager un savoureux moment, sont proposées. Côté saveurs, Ginou ne manque pas d’idées, justement : en parallèle à la fabrication des fromages, elle réalise des plats cuisinés, d’inspiration montagnarde : «Il faut bien réussir à valoriser les veaux mâles…», explique l’éleveuse. L’abattoir est local (Saint-Etienne-de-Cuines), le lieu de transformation aussi. Avec la Conserverie de Maurienne, elle s’est donc lancée il y a peu dans la préparation des «Mijotés du montagnard». Blanquette de veau et (bientôt) bourguignon sont à déguster. Avec une tranche de fromage beaufort ou de raclette de Savoie avant ou après, c’est un régal.