Comment agir sur la qualité de la viande bovine ?
Explications avec Jérôme Normand du service qualité des viandes à l’Institut de l’élevage, invité à la journée viande bovine de la chambre d’agriculture, le 11 janvier dernier,
à Hornoy-le-Bourg.
Quand on parle de qualité en viande bovine, de quoi parle-t-on ?
Si l’on se réfère à la définition de Phil Crosby (homme d’affaires et auteur qui a contribué à la théorie de la gestion et aux pratiques de gestion de la qualité, ndlr), la qualité c’est comme l’amour. C’est naturel. Tout le monde aime ça. Tout le monde le fait. Tout le monde est expert. Et quand ça ne marche pas, c’est de la faute de l’autre.
Plus sérieusement, selon l’Afnor, la qualité correspond à l’ensemble des propriétés et caractéristiques d’un produit, qui lui confèrent l’aptitude à satisfaire les besoins des clients. Autrement dit, c’est répondre aux attentes des clients. Ce n’est donc pas forcément produire de la viande haut de gamme. Enfin, quand on parle de qualité en viande bovine, plusieurs critères entrent en ligne de compte : l’animal, la carcasse et le morceau de viande, soit trois types d’attentes qualitatives.
A qui et quoi correspondent ces trois types d’attentes qualitatives ?
La qualité par rapport à l’animal est celle que recherche l’éleveur. Pour lui, la qualité s’apparente aux performances de l’animal, à son coût de production, à la valorisation du produit. Quand on évoque les attentes qualitatives par rapport à la carcasse, ce sont celles des transformateurs. Pour eux, la qualité, c’est à la fois le poids de l’animal, sa conformation, son état d’engraissement, son rendement viande, son aptitude à la conservation… Enfin, quant aux attentes qualitatives par rapport au morceau de viande, il s’agit des qualités hygiéniques, nutritionnelles, organoleptiques, de service et sociétales que recherchent les consommateurs.
Reste que la consommation de la viande bovine diminue en France. Est-ce en lien avec une qualité de viande que ne trouvent pas les consommateurs ?
Les causes de cette érosion progressive de consommation sont multiples. Elles sont à la fois économiques, éthiques, écologiques et nutritionnelles. Sans compter l’évolution effective des lieux d’achat et de consommation de viande. Une fois cela dit, et malgré toutes les campagnes qui ont été menées contre la consommation de viande bovine ces derniers temps, les consommateurs sont toujours à la recherche de qualité. Je dirais que cette évolution des comportements s’explique par des habitudes de consommation différentes et des exigences relatives à la sécurité alimentaire et à des attentes sociétales de plus en plus nombreuses. Conséquence : la qualité reste un critère incontournable pour satisfaire le consommateur de viande bovine.
Quelles sont précisément les attentes qualitatives des consommateurs par rapport aux morceaux de viande bovine qu’ils achètent ?
Ces attentes portent à la fois sur la quantité de gras, la couleur de la viande à l’achat, la couleur du gras, la tendreté, la flaveur (le goût, ndlr) et les qualités diététiques. A noter que, pour la quantité de gras, les tests réalisés auprès des consommateurs ont révélé que s’ils préfèrent, à la dégustation de la viande, les morceaux avec des quantités de gras élevés, ils ne sont pas prêts à acheter ces morceaux-là pour des raisons notamment de diététique. Or, il faut suffisamment de gras dans une viande pour développer des saveurs en bouche et sa tendreté. S’il faut donc suffisamment de gras pour développer les qualités perçues en bouche, il n‘en faut pas trop pour des aspects diététiques et commerciaux. Je reconnais que l’équilibre est difficile à trouver.
Pour ce qui est de la couleur de la viande fraîche, le marché français préfère largement une couleur de viande rouge vif, hormis quelques régions. Le deuxième marché est celui de l’export pour les jeunes bovins, qui privilégie, lui, une viande extrêmement claire.
Quels facteurs influent sur la qualité en viande bovine ?
Il y a à la fois des facteurs d’élevage, qui passent notamment par l’alimentation, mais aussi des facteurs biologiques liés à l’animal (race, sexe, âge, individu) et au muscle, ainsi que des facteurs technologiques liés à l’abattage, la réfrigération, la découpe, la durée de stockage et le conditionnement. Sans oublier, bien sûr, dans ces facteurs dits technologiques, la consommation (préparation et cuisson).
Reste que mesurer la qualité de la viande est difficile, car il existe peu d’outils de mesures adaptés. Quelques avancées ont été réalisées cependant, mais il n’en demeure pas moins que le chemin à parcourir est long pour apprécier une réalité très complexe.
Comment les éleveurs peuvent-ils agir sur la qualité de leur production de viande bovine, tout d’abord par rapport à la quantité de gras ?
Les éleveurs peuvent travailler sur l’alimentation. Quand on augmente l’apport de la ration, il faut savoir que l’on augmente le gras au détriment du muscle. Ce qui est capital, sur ce sujet, est la durée de finition des animaux. Plus on augmente le temps de finition, plus on augmente l’engraissement de l’animal. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a aucun effet du niveau d’apport azoté sur la quantité de gras dans la carcasse des vaches de réforme. Il faut donc éviter les rations trop azotées, car cela ne sera pas valorisé. Il faut essayer de veiller à ce que la ration soit bien équilibrée.
Est-ce que les aliments donnés ont un rôle sur la qualité de la viande ?
Il n’y a aucun effet de la nature des aliments sur la qualité de la viande. Que vous donniez de l’ensilage maïs ou du foin avec des concentrés, le résultat est le même. Le régime alimentaire n’a pas d’incidence sur l’engraissement de la bête en finition. Et contrairement à ce que pensent certains éleveurs, ils n’auront pas de carcasses plus grasses en donnant à leurs bêtes de l’ensilage maïs. Ce qu’il faut, c’est raisonner sur quelle quantité j’apporte en termes d’UFV et de PDI. Autrement dit, il faut relativiser l’importance donnée au type de régime alimentaire choisi pour ses bêtes.
Et sur la qualité des gras, l’alimentation peut-elle influer ?
L’alimentation a un rôle sur la composition en acides gras des aliments. Une meilleure qualité des lipides est obtenue avec l’herbe. Les teneurs en oméga 3 les plus élevées sont obtenues avec un pâturage de printemps. Ensuite, la teneur en oméga 3 peut être proche de celle obtenue avec finition à l’auge par une finition en herbe d’automne à laquelle il faut ajouter une complémentation. La complémentation peut se faire indifféremment à partir de graines de lin ou de graines extrudées. Dans tous les cas, il n’y aucune incidence sur la flaveur des viandes. L’étape suivante est la finition à l’auge après une période de pâturage, mais là, la teneur en oméga 3 diminue rapidement.
La qualité des lipides dans la viande peut être aussi modulée par l’engraissement et la protection des graisses.
L’alimentation peut-elle avoir une influence sur la couleur du gras et la celle de la viande ?
La coloration jaune du gras provient de l’accumulation de pigments colorés contenus dans l’alimentation des animaux : le b-carotènes. Ainsi, plus l’animal consomme des aliments riches en b-carotènes, plus son gras devient jaune. C’est particulièrement flagrant chez les bêtes ayant consommé de l’herbe pâturée et de l’ensilage herbe.
Quant à la couleur de la viande fraîche, liée au pH et à la quantité de pigments du muscle, l’alimentation peut entrer en ligne de compte, particulièrement la diète mise en place avant l’abattage des animaux, ce qui permet de faire baisser le taux de glycogène. Une fois cela dit, l’alimentation a peu d’incidence sur la pigmentation. Ce qui joue sur la pigmentation, c’est l’animal, particulièrement son âge à l’abattage et sa précocité en fonction du sexe, de la race et de l’origine parentale.
Et sur la tendreté de la viande ?
Il n’y a aucun effet direct de la nature de l’aliment sur la tendreté. Le premier facteur de variation, c’est le muscle, puis l’animal, avant tout l’individu, son âge, sa précocité, ainsi que quelques facteurs technologiques tels que la réfrigération des carcasses, le mode de suspension de l’animal (suspension pelvienne) et la maturation de la viande.
Qu’en est-il pour la flaveur ?
Comme je le disais précédemment, le gras est la principale composante de la flaveur. L’alimentation intervient par le biais du niveau énergétique de la ration et de la durée de finition. L’herbe développe des flaveurs pastorales et permet aussi un apport de vitamine E, qui protège contre l’oxydation des graisses.
S’il fallait conclure, je dirais que ce qui est extrêmement important pour la qualité de la viande, c’est la finition des animaux.