«La Chine est l’un des facteurs majeurs de la crise»
Pour Jean-Marc Chaumet, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage et rédacteur en chef de Chine Abcis, (lettre veille agricole), ce pays est un élément central de la crise laitière.
Quel est le rôle de la Chine dans la crise que traversent actuellement les éleveurs laitiers français ?
La Chine est un des facteurs majeurs de la crise actuelle, notamment de la baisse des prix. Elle a commencé à limiter ses importations à partir du deuxième trimestre 2014, et les prix ont commencé à baisser à partir de ce moment. Rappelons que c’était l’année dernière le premier importateur mondial des produits laitiers.
Pourquoi cette baisse soudaine des importations de lait ?
Depuis février 2014, le secteur laitier chinois est en crise. La crise est apparue de la manière suivante : les ventes de produits laitiers avaient très fortement augmenté début 2013, vidant les stocks, augmentant les prix aux producteurs, et boostant ainsi la production intérieure et les importations. Quelques mois plus tard, les importations ont augmenté fortement entre fin 2013 et début 2014. Mais c’est justement le moment où la consommation chinoise s’est rétractée. Les offres de lait local et d’importation étant trop importantes, elles ont fait chuter les prix en Chine. La Chine importe, depuis, moins de lait, notamment depuis la France, où les prix aux producteurs baissent, comme partout ailleurs dans le monde.
Pourquoi cette soudaine baisse de consommation de la part des Chinois ?
Tout d’abord, c’est un retour à une consommation plus raisonnable, après le bond énorme en 2013, que je ne m’explique toujours pas. Ensuite, la hausse des cours à la production s’est répercutée sur les cours à la consommation, et a freiné la demande. Il y a eu par ailleurs une volonté des autorités chinoises de limiter la corruption, qui n’a pas seulement touché les ventes de cognac et de vin, mais aussi les produits laitiers. Enfin, élément aggravant : en réaction à la baisse des ventes, les entreprises locales ont pris le parti de vendre moins de bas de gamme, et plus de haut de gamme. Elles se livrent, par ailleurs, depuis la chute des cours, à une vraie guerre des prix, et ont mis en place des promotions. Aujourd’hui, presqu’aucun Chinois n’achète de produit laitier sans promo.
La baisse des importations touche-t-elle tous les produits ?
Il faut distinguer les poudres maigres et grasses, sur lesquelles les importations ont subi une baisse de 50 % sur les cinq premiers mois de l’année (par rapport à 2014). En revanche, les produits à haute valeur ajoutée comme le lait liquide, et la poudre de lait infantile - produits emballés, prêts à consommer - sont toujours porteurs. Les importations ont même continué d’augmenter de 20 % sur les cinq premiers mois de l’année.
Y-a-t-il eu un mirage chinois dans le secteur laitier européen ?
Ce n’est pas un mirage, mais il faut être prudent. En Chine, le lait ne fait pas partie du régime alimentaire traditionnel, comme le porc ou le riz. Il y a eu une très forte augmentation de la consommation et de la production locale dans les années 2000. Elles ont été multipliées par trois. La crise de la mélamine en 2008 a marqué un coup d’arrêt pour la production locale en laquelle les Chinois n’avaient plus confiance (6 morts et 300 000 nourrissons malades), et permis aux exportations d’augmenter. Après 2009, tout le monde pensait que les exportations allaient continuer d’augmenter sur ce rythme, mais il ne faut pas oublier qu’elles sont dues à un problème interne chinois.
Ce qui s’est passé ces dernières années est caractéristique de ce qui va se passer dans les années à venir. Il ne faut pas s’attendre à une augmentation des importations en ligne droite, il y aura des à-coups, ils dépendront de la production locale, de la réussite des efforts du gouvernement chinois pour redorer le blason d’une industrie laitière empêtrée dans les scandales à répétition, et des stratégies des importateurs. Par ailleurs, la consommation chinoise va continuer d’augmenter, mais à un rythme moins fort. Les Chinois en boivent 30 litres par an, contre 100 litres pour la moyenne mondiale.