Le «sans pesticide» prend de l’ampleur
Le Sia a vu se multiplier les annonces de productions labellisées «cultivées sans pesticide» ou «sans résidu». Quatre offres différentes sont déjà disponibles en fruits et légumes, accentuant la segmentation du marché, entre le conventionnel et bio.
Entre le bio et le conventionnel, les labels «sans pesticide» peuvent-ils trouver une place ? C’est le pari que font un nombre grandissant d’acteurs dans le secteur des fruits et légumes, où la problématique des pesticides est vue comme un frein à une augmentation de la consommation. Un constat lié à une crainte du consommateur rappelée dans le dernier baromètre de confiance des fruits et légumes frais 2018, réalisé par l’institut CSA pour FranceAgrimer et Interfel. Comme en 2017, «les traitements chimiques demeurent la première source d’inquiétude», rappelle l’étude.
De premières démarches avaient commencé à émerger l’année dernière, notamment autour du label «Zéro résidus de pesticide» initié par les Paysans de Rougeline (Sud-Ouest de la France) et le collectif national Nouveaux champs, ou du «Sans pesticide, 100 % nature» des coopératives bretonnes Savéol, Prince de Bretagne et Solarenn. Mais l’année 2019 semble marquer une accélération du phénomène. La surprise est notamment venue du groupe Bonduelle, qui a indiqué faire des produits «sans résidu de pesticides» un axe stratégique de son développement. Une offre de salade a été lancée en janvier, et devrait être suivie par du maïs en avril, avec pour objectif d’étendre l’offre «sans résidu» sur l’ensemble de sa gamme.
En se lançant dans le «sans résidus», Bonduelle rejoint, dans la méthode, le collectif Nouveaux Champs et son label «Zéro résidus de pesticide». Dans les deux cas, ces démarches utilisent la «limite quantifiable» de résidus pour valider l’absence de substances actives. Celle-ci ne garantit pas aux consommateurs qu’aucun pesticide n’a été détecté, mais que, si présence il y a, celle-ci sera inférieure à ce que les techniques d’analyses permettent de quantifier, soit un taux qui peut être «dix à mille fois inférieur aux limites maximales de résidus, fixées pour la commercialisation», indique Gilles Bertrandias, président du collectif Nouveaux champs. Bonduelle précise faire porter ses contrôles sur «trois cents molécules différentes», quand Nouveaux champs dit mesurer «toutes les substances actives» parmi les 413 utilisées dans l’agriculture française, en incluant celles utilisées en agriculture biologique.
En 2018, le collectif a ainsi labellisé vingt-cinq espèces de fruits et légumes frais pour un total de 10 000 t commercialisées (principalement de la tomate, du concombre et des fruits à pépins). Cette année, il prévoit d’inclure «vingt nouvelles espèces». Au-delà, le label devrait s’ouvrir «à de nouvelles espèces transformées» comme les céréales, la viticulture ou les jus de fruits.
Sans pesticide «de la fleur à l’assiette»
Face à ces labels, se positionne une offre se basant sur une promesse de moyen, le «cultivé sans pesticide», induisant un message plutôt porté par les effets sur l’environnement. Les coopératives bretonnes Prince de Bretagne, Solarenn et Savéol ont ainsi annoncé le 25 février la mise en place d’une «démarche commune» de productions «cultivées sans pesticides» appliquée dans un premier temps aux tomates produites en serre. Intitulée «Alliance nature et saveurs», celle-ci se matérialisera notamment par un cahier des charges et un label «cultivées sans pesticides» communs aux trois coopératives. Ce dernier s’engage sur l’absence de traitements de pesticides de synthèse «de la fleur à l’assiette», ce qui laisse en angle mort la période qui précède la floraison. Les trois coopératives, qui produisent
196 000 tonnes de tomates par an, envisagent d’en labelliser «30 à 40 % dans le moyen terme», a indiqué Pierre-Yves Jestin, président de Savéol. Dès 2019, 176 des 208 maraîchers des trois marques apposeront le label sur leurs tomates et une extension de la démarche à d’autres légumes, le concombre notamment, est déjà envisagée.
Dernière initiative en date, celle de l’association de producteur Demain la Terre, qui joue sur les deux tableaux. Celle-ci a indiqué le 25 février qu’elle allait ajouter deux critères «sans résidus de pesticide détecté» et «cultivé sans pesticide de synthèse» à sa charte de production, qui en compte déjà une soixantaine concernant notamment l’eau, le sol ou la biodiversité. Ces deux critères seront optionnels pour les treize entreprises adhérentes, qui pourront «soumettre une partie variable de leurs volumes» à l’un ou l’autre des critères, a précisé Marc de Nale, le directeur. Leur respect sera validé «par un organisme de contrôle indépendant» lors de l’audit annuel des membres, et donnera lieu, si validé, à une mention apposée en complément du logo «Demain la terre» déjà présent sur les produits.
«Moins bien qu’un label bio »
Ces démarches convainquent-elles les associations défendant l’environnement ? Lors de l’apparition du label «Zéro résidus de pesticide» l’année dernière, plusieurs d’entre elles (FNH, Greenpeace, Générations Futures...) avaient déjà publié un communiqué remettant en cause cette allégation, la jugeant «inexacte» et de nature à «biaiser le choix des consommateurs désireux de faire attention à ce qu’ils achètent». «On est plutôt favorable à un objectif de moyen - ne pas utiliser de pesticides de synthèse - qu’un objectif de résultat», précise aujourd’hui Claudine Joly, en charge des questions pesticides à France Nature environnement. «Le sans résidu de pesticides va probablement entraîner des modifications dans le bon sens des manières de produire, mais ce n’est pas suffisant d’un point de vue impact sur les milieux naturels», ajoute-t-elle. Dans tous les cas, ces démarches ne doivent être «qu’une étape vers le zéro utilisation de pesticides de synthèses dans les pratiques agricoles», rappelle-t-elle. «Pour nous, cela reste moins bien qu’un label bio», insiste-t-elle.
Au-delà, la multiplication des offres pose la question de la capacité du consommateur à s’y retrouver et de la nécessité d’une forme d’encadrement sur l’usage de ces labels. Olivier de Carné, directeur accords, économies et affaires publiques à Interfel, confie que «ce qui nous préoccupe, c’est de savoir dans quelle mesure le développement de ces labels peut être un élément moteur de la consommation sur l’ensemble de la gamme fruits et légumes». L’interprofession compte finaliser d’ici le mois de juin un «guide des bonnes pratiques» pour encadrer l’usage de ces allégations.