Mobilisation nationale à Paris du 3 septembre : les mesures prises par les pouvoirs publics
Mobilisés depuis le début de l’été pour dénoncer la crise sans précédent à laquelle ils font face, les agriculteurs de la Fnsea et de JA se sont réunis à Paris, le 3 septembre, pour une démonstration de force vis-à-vis des pouvoirs publics.
Le 3 septembre, les Parisiens avaient laissé le champ libre aux éleveurs de bovins, de porcs et d’ovins venus de toute la France pour manifester leur colère et leur détresse. Et de nombreux banlieusards ont refusé de prendre leur voiture pour se rendre à leur travail. Si bien que le périphérique et les boulevards parisiens étaient dégagés. Le matin, il y avait à peine 80 km de bouchon autour de Paris contre plus de 200 km en jour de semaine.
Laisser le champ libre, c’est la façon, pour les Parisiens, de manifester leur sympathie auprès des producteurs de bovins et d’ovins venus défendre leurs revenus. «N’oublions pas que ce sont eux qui nous nourrissent», déclarait un piéton, venu assister à l’arrivée d’un des convois de tracteurs Porte de Vincennes. «Et puis il faut les soutenir, car ce sont des hommes et des femmes courageux qui ont fait l’effort de venir manifester en laissant leur travail et leurs animaux», ajoutait un ouvrier du bâtiment, venu observer le convoi de tracteurs Porte de Vincennes.
Avec une mobilisation supérieure aux attentes - plus de 1 700 tracteurs place de la Nation au lieu des 1000 annoncés - les agriculteurs qui se sont rendus au Palais Bourbon et à Matignon sont partis confiants présenter leurs revendications. Pour la Fnsea et Jeunes agriculteurs, il ne s’agissait pas de demander à nouveaux des aides, mais d’inciter les pouvoirs publics à prendre les mesures conjoncturelles et structurelles nécessaires pour permettre à l’agriculture française de rester compétitive face à ses voisins européens.
Renforcement du plan de soutien
Emmenés par Xavier Beulin, président de la Fnsea, et Thomas Diemer, président de JA, une délégation d’agriculteurs a été reçue vers 12 h à Matignon, où ils ont discuté pendant près de deux heures avec le Premier ministre, Manuel Valls, en présence de Stéphane Le Foll. «Je veux dire au monde paysan que la France ne lâchera pas ses agriculteurs. Désespoir, humiliation, colère, nous les entendons. Nous y répondons. C’était l’objectif du plan de soutien de juillet. C’est l’objectif des mesures complémentaires que nous venons de prendre», a annoncé à l’issue de la rencontre le Premier ministre.
Un soutien qui entend se traduire dans les faits par un renforcement du plan d’urgence pour l'élevage, à travers l'augmentation des crédits annoncés en juillet : les prises en charge des intérêts d’emprunt atteignent à présent 100 millions d’euros pour 2015, et les prises en charge des cotisations sociales sont élevées à 50 millions d’euros. Pour permettre la restructuration de la dette des éleveurs, une année blanche (report total des annuités de 2015) sera proposée, et le Fonds d’allègement des charges (FAC) sera augmenté, a promis Manuel Valls. Pour faire baisser les charges des agriculteurs, la cotisation minimum maladie sera alignée sur le régime des indépendants, soit «dès cette année, une baisse de près de 500 euros» pour les petites exploitations, a souligné le Premier ministre, ajoutant par ailleurs, qu’«un chantier sera ouvert pour que la fiscalité agricole prenne mieux en compte la volatilité des prix agricoles».
Au-delà de ces mesures d’urgence, le gouvernement prévoit de faire passer les soutiens publics à l’investissement à 350 millions d’euros par an pendant trois ans, en partie via les Régions qui gèrent à présent le deuxième pilier de la PAC. Grâce à un effet levier, «chaque année, un milliard d’euros permettra de soutenir l’investissement dans les exploitations», a précisé Manuel Valls, qui n’a pas manqué de souligner, en référence au montant demandé par Xavier Beulin, que «ce sont donc au total trois milliards d’euros en trois ans qui pourront être investis dans l’agriculture et l’élevage français».
Si le moratoire d’un an sur les normes, demandé par la Fnsea et JA, n’a pas été obtenu, le gouvernement a cependant promis que d’ici février, «aucune mesure nationale allant au-delà des obligations européennes ne sera prise». Les professionnels agricoles seront associés beaucoup plus en amont dans l’élaboration des nouvelles règles, a également promis le Premier ministre, en parlant de «nouvelle méthode». Evoquant le Conseil des ministres de l’Agriculture européens à Bruxelles, quatre jours plus tard, il a déclaré que «nous défendrons des mesures à effet immédiat pour faire remonter les prix : relèvement du prix d’intervention du lait, action en faveur de l’exportation, assouplissement de l’embargo sanitaire russe, notamment sur le porc».
Avant Matignon, une délégation Fnsea -JA s’est également rendue à l’Assemblée nationale. A la centaine d’agriculteurs présents pour les soutenir, Xavier Beulin a rappelé la nécessité d’avoir des députés «davantage à nos côtés sur les territoires. Que fait-on à l’Assemblée nationale depuis trop longtemps ? On légifère, on contraint, on nous appuie sur la tête !»
Message entendu par les députés ?
Le message a visiblement été entendu par le président de l’Assemblée nationale, qui s’est engagé, à l’issue de la rencontre, à faire pression au niveau législatif pour éviter l’excès de normes. «Nous avons aussi besoin du soutien des députés pour aller dire à Bruxelles qu’on ne peut pas supporter seuls les conséquences de l’embargo russe, et que la PAC n’est pas suffisante en matière de gestion des risques», a fait savoir Xavier Beulin.
Reste que de nombreux éleveurs attendaient des engagements sur les prix qu’ils n’ont pas eus. Il faut reconnaître que certains n’ont pas caché leur déception. Sur ce sujet, le chantier a été ouvert au mois de juillet et des engagements ont été pris avec les distributeurs et les transformateurs sous l’égide du ministre de l’Agriculture. D’ailleurs, «les entreprises restent sous surveillance», a rappelé Xavier Beulin. Reste qu’il n’est pas du pouvoir du Premier ministre de fixer des prix et que le soutien des marchés relève de décisions communautaires.
Interview
Président de la Fnsea
Au travail à Paris, en colère à Bruxelles !
1700 tracteurs à Paris, 7000 paysans ! Cette mobilisation d’une telle ampleur est en soi une réussite. Vous qui vous êtes mobilisés d’une façon ou d’une autre, nous vous remercions chaleureusement, et nous vous exprimons notre fierté qui, nous l’espérons, est aussi la vôtre.
Nous avons réussi à sensibiliser les citoyens de Paris et d’ailleurs à nos difficultés. Nous avons aussi su montrer aux pouvoirs publics la force et la détermination de nos réseaux face à des prix qui ne couvrent plus nos charges. Les mesures annoncées par le Premier ministre sont de nature à donner de l’air aux trésoreries des éleveurs les plus en difficulté, comme par exemple l'année blanche, ainsi que le non remboursement de la DJA.
Nous comprenons aussi le sentiment de déception de certains d’entre nous, compte tenu de la gravité des situations individuelles, mais notre mobilisation a conduit à des avancées réelles.
Le signal que nous attendions tous concernait les normes. Un pas vient d’être franchi avec l’annonce d’une pause par le Premier ministre et la définition d’une nouvelle méthode de travail. Comptez sur nous pour être actifs et sans concession dans son élaboration. Nous devons saisir cette opportunité pour endiguer enfin cette surenchère infernale. Ne négligeons pas enfin le chantier fiscal à venir. Il est porteur de réelles solutions pour une plus grande solidité de nos exploitations. Il n’est pas question de distribuer des bons points, ni de crier victoire. Nous avons une nouvelle partie à jouer, tout aussi exigeante et déterminante. Exigeante vis-à-vis des acteurs des filières, du gouvernement et des administrations, des parlementaires et enfin vis-à-vis de Bruxelles.
Car, à Bruxelles, nous éprouvons de la colère ! Colère face à l’attitude de la Commission européenne.
5000 paysans venus de toute l’Europe, plus d’un millier de tracteurs… pour moins de 20 minutes d’entretien de leurs représentants avec le vice-président de la Commission et le président du Conseil ! A peine le temps d’écouter nos préoccupations et propositions ! Et encore moins le temps d’y répondre ! En colère face à l’absence du commissaire Phil Hogan.
En colère face au mépris de la Commission, car les aides directes mises sur la table, avant même le Conseil des ministres, montrent qu’une fois de plus on tente d’acheter les paysans et les Etats membres.
Après des mois de mobilisation, des diagnostics nombreux, en particulier sur les conséquences de l’embargo russe, le besoin de mesures de marché, la commission nous propose… d’ouvrir des chantiers ! Vont-ils aller jusqu’à prendre le risque de saborder la seule véritable politique européenne, la PAC ? Encore des rendez-vous, encore des palabres, à quand les décisions ? Depuis un an nous disons que les paysans ne peuvent supporter seuls les conséquences des sanctions de l'Union européenne à l'égard de la Russie. Au lieu de toujours plus de verdissement et de règles administratives stupides, nous avons besoin de mesures concrètes de gestion de marché et de gestion de crise, d’étiquetage sur l’origine de produits alimentaires, qui aient un réel impact sur les prix de nos produits.
Pour nous, la situation est claire. Face à l’inertie, face à la technocratie, face aux renoncements, c’est désormais aux chefs d’Etat et de gouvernement de peser et d’imposer !