Triage à façon : de la dédiabolisation à l'acceptation de la semence fermière
Trieur de semences à Séricourt (62), Sylvain Ducroquet est aussi le président du Syndicat des trieurs à façon français (Staff). Il revient sur l'opportunité que représente l'utilisation de la semence fermière et son engagement pour faire reconnaître son métier au sein du Gnis, l'interprofession des semences et plants.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que le chemin qui a conduit à la reconnaissance de la semence fermière a été long et, d'autre part, qu'il a été longtemps semé d'embuches pour ceux qui en font leur métier ou qui les utilisent. Mais pour le président du Syndicat des trieurs à façon français (Staff) et patron d'une entreprise de triage de semences à façon dans le Pas-de-Calais, Sylvain Ducroquet, «on est passé à autre chose. Il est temps de rentrer dans l'agriculture du 21e siècle». Le tournant dans l'histoire de la semence de ferme date de 2011 en France avec la loi sur l'obtention végétale qui donne un cadre légal à la semence de ferme et reconnaît le métier de trieur professionnel.
À l'échelle européenne, ce cadre légal existe depuis 1994 et il aura fallu plusieurs années au législateur français pour s'y conformer. L'autre étape décisive, c'est la certification des entreprises de triage à façon en 2013 qui a «renforcé le statut professionnel du métier de trieur», selon le Staff. Depuis, constate M. Ducroquet, «les entreprises ont grossi et sont mieux équipées. Les chantiers sont autonomes. On peut calculer des poids de mille grains (PMG) en temps réel, effectuer des traitements quand c'est nécessaire, puis mettre en sac». Fondé en 1993, le syndicat des trieurs à façon français rassemble aujourd'hui 42 entreprises sur la centaine que l'on compte en France, pour environ 75 % des volumes de semences fermières utilisées.
Des entreprises de toutes tailles
Le trieur à façon, qui est-il ? «C'est un indépendant, décrit Sylvain Ducroquet. Il s'agit d'une entreprise spécialisée, parfois un agriculteur, qui entretient un lien fort avec l'agriculture. Nous travaillons en circuit court. Tous les jours, j'ai mes clients au téléphone...» Basé à Paris, le Staff est affilié à la fédération nationale des entrepreneurs du territoire (FNEDT), avec des entreprises adhérents dont l'effectif de deux à plusieurs dizaines de salariés, «partout en France». Depuis 2010, il existe également l'European mobile seed association (EMSA) qui fédère les entreprises de triage d'une dizaine de pays européens et qui a pour but d'être «un contrepoids face aux entreprises qui fabriquent des semences certifiées», sourit M. Ducroquet. Si des pays comme le Danemark n'utilisent que «5 %» de semences fermières, selon le président du Staff, ce taux d'utilisation est largement supérieur dans d'autres contrées, à l'image de la Pologne (90 %). La France se situerait dans l'entre-deux, avec 60 % des parts du marché des semences céréalières (2018).
Une utilisation «tendance»
Pour Sylvain Ducroquet, le développement de la semence fermière est donc résolument tendance : «Cela a toujours existé et fait partie du métier d'agriculteur.» Mais aujourd'hui encore plus qu'hier, «on est une force en présence, de plus en plus plébiscitée». Les raisons ? Elles sont multiples. Au 20e siècle, que le président du Staff décrit comme «le siècle de l'industrialisation avec des productions standardisées et de masse» a succédé un 21e siècle «où chacun doit pouvoir trouver ce dont il a besoin en fonction de ses débouchés. On passe d'une économie industrielle centralisée à une économie décentralisée», explique ainsi Sylvain Ducroquet, faisant référence au passage aux pensées de Jérémy Rifkin et son concept de Troisième révolution industrielle. En matière d'agriculture et de production de semences, les trieurs à façon incarnent, selon leur représentant, cette possibilité de faire du «sur-mesure». «Pour une station de semences, c'est compliqué étant donné la taille des matériels utilisés. Les trieurs à façon, eux, utilisent des unités mobiles, de plus petite taille qui permet d'être réactifs.»
Avantage économique et agronomique
«Le métier de trieur est moderne, poursuit M. Ducroquet. Il permet de se réapproprier la semence et sur le plan économique, cela permet d'avoir accès à une semence bon marché, de qualité, et locale.» En termes de protection phytosanitaires, là encore, la semence fermière apparaît plus économe, assure-t-il : «Quand une station de semences classique raisonne protection globale, nous n'appliquons que ce qui est nécessaire en fonction d'un risque identifié et d'une parcelle. On demande à l'agriculteur ce qu'il veut et on s'adapte.» Les agriculteurs bios, adeptes plus que d'autres encore des semences fermières et des mélanges variétaux, peuvent aussi trouver leur bonheur auprès des entreprises de triage à façon, selon le Staff.
Si l'épidémie de Covid-19 n'a pas perturbé outre mesure le fonctionnement des entreprises de triage à façon, elle pourrait, en revanche,«changer les habitudes de consommation et accélérer la demande pour des produits locaux», imagine le président du Staff.
À l'heure où la notion de souveraineté alimentaire est à la mode, les trieurs à façon de semences entendent bien rappeler dès que leur occasion leur en est donnée leur place dans le paysage.
Le Staff continue de frapper à la porte du Gnis
Alors que le Gnis a annoncé le 4 août dernier un élargissement de sa gouvernance en accueillant au sein de son conseil d'administration des représentants des syndicats représentatifs des agriculteurs, le Syndicat des trieurs à façon (Staff) attend, quant à lui, toujours l'invitation... sans perdre espoir. Il y a quelques semaines, l'interprofession des semences et plants a, en effet, indiqué «concrétiser la volonté d'ouverture de sa gouvernance», inscrite dans le plan de filière Egalim, en ouvrant la porte à la Confédération paysanne, à la Coordination rurale et aux Jeunes agriculteurs. Il avait fallu pour cela une modification du décret de constitution du Gnis. Dès le prochain conseil d'administration du Gnis - il aura lieu le 24 septembre -, les nouveaux entrants pourraient «s'ils le souhaitent» venir compléter le tour de table. Pour Sylvain Ducroquet, le président du Staff, cette ouverture à de nouveaux représentants est plutôt «une bonne nouvelle», puisqu'elle ravive son espoir de faire entrer au sein de l'interprofession des semences et plants les entreprises qu'il représente. «Nous utilisons les mêmes traitements de semences que les stations de semences certifiées, les mêmes outils, nous représentons une part de marché significative et nous ne sommes pas représentés dans le Gnis, mais cela pourrait bientôt changer», estimait M. Ducroquet en fin de semaine dernière. «Il y a quelques crispations liées à l'histoire de la filière semences, mais il faut passer à autre chose.» Les discussions entre les trieurs à façon et le Gnis ne datent pas d'hier puisqu'il faut remonter à 2011 et la reconnaissance officielle de la semence fermière. Toujours selon le syndicat des trieurs à façon, l'entrée du Staff au sein de l'interprofession semencière ne serait plus qu'une question de mois : «L'épidémie de Covid-19 a mis un coup de frein à nos réunions, mais elles devraient reprendre à partir du début de l'année prochaine.»
«Des ponts plutôt que des murs»
Intégrer le conseil d'administration, qu'est-ce que cela peut changer ? Au-delà d'une reconnaissance de l'utilisation de la semence fermière en France, «l'idée est de créer des ponts entre nos différents métiers plutôt que des murs, confie Sylvain Ducroquet. Même si le métier de trieur de semences est classé dans la catégorie des entrepreneurs des territoires, je me sens plus proche d'un semencier parce que je suis au contact de la graine tous les jours. Être à la table du Gnis avec des semenciers nous permettrait d'échanger sur des thématiques particulières».
Le Staff et ses entreprises adhérentes entendent ainsi apporter leur contribution sur des dossiers jusqu'alors pas ou encore peu pris en charge par les maisons de semences et leurs distributeurs. Un exemple ? Le soja. «C'est une plante dont on pense qu'elle peut progresser en France, sous l'effet du changement climatique. Si le soja doit se développer, les trieurs de semences ont une carte à jouer en distribuant de la semence fermière pour faire les tests de développement, sans gros investissements.» Idem en ce qui concerne d'autres espèces mineures, à l'image de la lentille ou de la cameline. «Pour une station de semences, se lancer dans ce genre de production demande des investissements importants, sans que le retour sur investissement soit garanti. Les entreprises de triage à façon de semences ont plus de souplesse et peuvent donc faire les tests.»
Dans l'esprit du président du Staff, la collaboration entre stations de semences et trieurs à façon pourrait même se concrétiser par des mises à disposition du matériel (mobile) des seconds aux premières : «On peut tout à fait prêter nos outils pour des opérations spécifiques qui ne sont pas industrialisées.» Sylvain Ducroquet se dit «prêt» à poursuivre sa politique de main tendue. Et de l'assurer : «La guerre entre semence fermière et semence certifiée appartient à une autre époque.»