Changement climatique : les agriculteurs picards s’engagent
A l’approche de la COP 21, organisée par la France en décembre prochain, les initiatives se multiplient dans tous les secteurs d’activité.
Le secteur agricole se mobilise, car l’activité de production est d’ores et déjà impactée par ces changements climatiques, et il faudra nourrir neuf milliards d’habitants en 2050. Une mobilisation d’autant plus nécessaire pour ce secteur, car il est source d’une partie des solutions pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre, accroître le stockage de carbone et produire des énergies renouvelables.
Les études prospectives nous montrent que «la messe est dite» jusqu’en 2040. Quelles que soient les politiques publiques qui seront ou non menées, l’augmentation de la température est inéluctable jusqu’en 2040. Une politique volontariste menée dès maintenant au niveau mondial nous permettrait de limiter le réchauffement global à 2° C d’ici 2100. En l’absence de politiques publiques, les températures moyennes pourraient augmenter jusqu’à 4,2 °C en Picardie, avec une pluviométrie moindre et une répartition des précipitations très contrastée selon les saisons.
Gaz à effet de serre : de quoi parle-t-on ?
En Picardie, l’agriculture est le 4e secteur émetteur de gaz à effet de serre (GES), soit 21 % du total des émissions de GES, derrière l’industrie (29 %), le transport (25 %) et l’habitat et services (23 %).
Contrairement aux autres secteurs d’activité pour lesquels les émissions de gaz à effet de serre sont majoritairement liées à la consommation de ressources fossiles, celles émises par l’agriculture sont liées à des processus biologiques de fonctionnement des sols, des plantes et des animaux d’élevage.
Ainsi, alors que le dioxyde de carbone (CO2) contribue à hauteur de 73 % des émissions de gaz à effet de serre en France, il ne représente que 10 % des émissions de GES d’origine agricole au niveau national.
Le protoxyde d’azote (N2O) représente 50 % des GES d’origine agricole. Il provient des sols agricoles avec l’épandage des fertilisants minéraux et organiques. N2O est un puissant GES, car son PRG (pouvoir de réchauffement global) est de 298, c’est-à-dire 298 fois le PRG du CO2, qui sert de référence (PRGCO2 = 1).
Entre 1990 et 2013, au niveau national, les émissions de N2O d’origine agricole ont diminué de 9 % s’expliquant par la réduction des quantités d’apports minéraux et à celle du volume des déjections à épandre (source Citepa, 2015).
Le méthane (CH4), qui représente 40 % des GES d’origine agricole provenant de la fermentation entérique (28 %) et des déjections animales (13 %), a un PRG de 25. Entre 1990 et 2013, les émissions de CH4 d’origine agricole ont diminué de 7 % (source Citepa, 2015).
Atténuation des émissions de N2O
Le protoxyde d’azote (N2O) est donc le premier GES émis par l’agriculteur, en termes de quantité. Les émissions sont comptabilisées sur la base des quantités de fertilisants azotés apportées. La question de l’utilisation des fertilisants ne peut être dissociée du fait qu’ils sont déterminants de la production agricole dans un contexte de forte demande alimentaire mondiale.
Le concept de bilan azoté prévisionnel est né en Picardie en 1969 avec Jean Hebert. La méthode du bilan prévisionnel est maintenant largement utilisée par les agriculteurs de Picardie. Elle permet de limiter les surplus d’azote. De nombreuses techniques sont largement répandues comme le fractionnement des apports ou l’apport d’azote au moment où la plante en a le plus besoin, dans le but d’améliorer l’efficience de l’azote et de limiter les pertes.
Le pilotage de la fertilisation azotée en cours de végétation est apparu au début des années 1990 avec Jubil, et n’a cessé d’évoluer dans un souci de précision et de réactivité. L’utilisation des drones dès fin 2013 en Picardie est un nouvel exemple de volonté d’avancée technologique de notre région. Ainsi, cette recherche d’efficience maximale de l’azote s’est traduite en Picardie par une diminution des livraisons d’engrais azotés de 10 % par rapport à 1990.
Les apports de la fertilisation localisée ont fait l’objet, en 2014, d’une large communication par les Chambres d’agriculture de Picardie. La localisation des éléments nutritifs permet, selon les espèces, des réductions de fumure azotée, tout en maintenant les critères qualitatifs et de rendements. Sur betteraves et pommes de terre, la réduction envisageable est de l’ordre de 20 %. La technique s’avère également efficace sur maïs.
Un autre levier d’action, déjà utilisé par des éleveurs picards, pour réduire l’usage des engrais azotés de synthèse est l’introduction de légumineuses comme la luzerne dans les prairies temporaires. En grandes cultures, une expérimentation sur la culture du soja est menée depuis 1993. Autre levier : les cultures intermédiaires pièges à nitrates, qui permettent de réduire la fertilisation azotée de la culture suivante, tout en stockant du carbone.
Baisses des émissions de CH4 et de CO2
Pour ce qui est des émissions de CH4, l’exercice s’avère plus délicat puisqu’il s’agit là d’interférer sur la vie des animaux. L’ajustement des apports protéiques est le premier levier d’action. Pour des bovins nourris avec des concentrés, l’introduction de 3 à 5 % de lipides réduit de 10 à 15 % les émissions de méthane entérique. La méthanisation agricole présente des enjeux très importants pour l’agriculture : lutte contre les GES, valorisation des effluents, diversification du mix énergétique, compétitivité des entreprises agricoles. La méthanisation à la ferme commence à émerger avec la mise en place de cinq unités en Picardie en 2015.
Les Chambres d’agriculture de Picardie se sont dotées en 2009 d’un banc d’essai moteur, permettant aux agriculteurs d’améliorer les performances de leurs tracteurs, d’économiser du carburant, et donc, de réduire les émissions de CO2. En 2015, ce sont plus de 500 tracteurs qui ont bénéficié de ce service. En matière de pratiques, les techniques culturales simplifiées permettent de réduire de 20 à 40 % les consommations de carburant.
L’agriculture, productrice de biomasse
Si la production de biomasse à but alimentaire est la première qui vient à l’esprit, d’autres utilisations permettent, elles aussi, de capter du CO2. Depuis 2008, la Chambre d’agriculture de Picardie est chef de file d’un réseau national, le Réseau mixte technologique biomasse & territoires, qui a pour but d’accompagner la production, la mobilisation et la valorisation durables de la biomasse agricole sur le territoire afin de trouver des substitutions aux ressources fossiles sur les filières court terme en bioénergie et biomatériaux.
Le pôle Industries et Agro-Ressources (IAR) des Régions Picardie et Champagne-Ardenne œuvre également sur les filières biomolécules et ingrédients alimentaires.
La filière élevage apporte l’immense atout de pouvoir séquestrer du carbone dans les sols de matière pérenne et stable, le niveau de stockage net de carbone dans les prairies permanentes se situant en moyenne autour de 1 000 kg c/ha/an.
Il ne faut cependant pas négliger le rôle des haies et des couverts végétaux. Quant à l’agroforesterie, elle fait l’objet d’un suivi sur les sept parcelles agroforestières que compte la Picardie, suivi qui aborde les domaines suivants : salissement, rendement, sol, auxiliaires et ravageurs de cultures.
Les agriculteurs picards travaillent à l’atténuation des émissions de GES depuis de nombreuses années. Mais ils doivent aussi s’adapter aux changements climatiques déjà perçus et faire face aux aléas climatiques. Tel est le triple défi des agriculteurs picards : produire suffisamment et durablement, atténuer les émissions de GES et s’adapter aux changements climatiques.
Article réalisé dans le cadre du groupe régional "Energie, Biomasse, Climat» coordonné par la Chambre régionale de Picardie - Elodie Nguyen - 03 22 33 69 53 et avec le soutien du Casdar.
Pour toute information, contactez :
Dans l’Aisne : Hubert Gandon au 03 23 22 50 20
Dans l’Oise : Eric Demazeau au 03 44 11 44 67
Xavier Teterel au 03 44 11 45 00
Dans la Somme : Romain Six
REACTION
Olivier Dauger, président de la Chambre d’agriculture de l’Aisne, élu référent pour le groupe régional «Energie, climat, biomasse» des Chambres d'agriculture de Picardie
«L’expression agriculture de solutions est justifiée»
Le changement climatique est une réalité ressentie dans toutes nos exploitations. Toutes nos productions émettent des GES, mais l’agriculture et la forêt sont les seuls secteurs économiques qui ont le pouvoir de stocker le carbone dans le sol. Nous devons et pouvons améliorer cette capacité sans remettre en cause la capacité de production, tout en remplaçant progressivement l’énergie fossile par l’énergie renouvelable. A l'occasion de la COP 21, une série d'articles sera rédigée sur les pratiques agricoles déjà mises en place. L’expression agriculture de solution est encore une fois justifiée.