Conjoncture laitière : pas de redressement des prix en vue à court terme
Selon l’Institut de l’élevage et l’interprofession laitière, il ne faut pas s’attendre à une remontée des prix du lait dans les mois qui viennent.
«Les perspectives à court terme restent moroses», selon Benoît Rouyer, du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel). Intervenant à la Conférence Grand Angle lait, le 12 avril, les experts de l’Institut de l’élevage (Idele) et de l’interprofession laitière ne sont pas très optimistes sur l’évolution à court terme des marchés laitiers. Philippe Chotteau de l’Institut de l’élevage observe «une convergence des matières premières en termes de volatilité». «Nous sommes face à un décloisonnement et une financiarisation des marchés», précise-t-il.
Dans ce contexte, le pétrole est devenu le marché directeur pour l’ensemble des matières premières, qu’elles soient agricoles comme minérales. Et, comme personne, à ce stade, n’envisage un rebond significatif du prix de l’or noir dans les mois à venir, l’ensemble des matières premières agricoles, y compris le lait, s’inscrit dans cette mouvance. Comme le pétrole, les prix des produits laitiers sont orientés à la baisse depuis deux ans. En janvier dernier, selon le Cniel, le prix à la production se situait à 268 €/1 000 litres en Allemagne, contre 288 €/1 000 litres en France. Il était nettement plus bas en Nouvelle-Zélande, selon Benoît Rouyer.
Outils non saturés
Malgré l’embargo russe et la diminution des achats chinois, les échanges mondiaux de produits laitiers se sont stabilisés en 2015. Le relais a été pris par l’Egypte, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis notamment. Mais de façon insuffisante pour absorber la croissance de la production mondiale. Certes, la Nouvelle-Zélande et l’Australie affichent une tendance baissière de la collecte depuis le début de l’année, mais le ralentissement ne s’est pas propagé à l’Europe.
En début d’année, la collecte affichait une hausse de 3,4 % dans l’Union européenne, avec cependant des écarts importants selon les pays : une croissance à deux chiffres en Belgique, aux Pays-Bas et en Irlande, et une évolution, certes positive, mais beaucoup plus modeste en Allemagne et en France. «Il y a eu d’importants investissements dans la filière laitière dans ces pays et les outils sont loin d’être saturés», observe Benoît Rouyer.
En outre, le cheptel continue d’augmenter, y compris au Royaume-Uni. «L’accélération de la croissance de la production nous met dans l’ornière», conclut-il. Rien donc qui puisse laisser espérer un redressement des prix à court terme, même si «les fondamentaux sont plus favorables à moyen et long termes». Les ressources naturelles, disponibilités en terres et en eau, sont limitées, alors que la croissance démographique se poursuit. Sans parler de l’urbanisation accélérée dans les villes du tiers monde, de l’Afrique en particulier, qui devrait ouvrir de nouveaux débouchés.
La France est dans la moyenne
Même si la production laitière n’a progressé que de 3 % entre 2012 et 2015, contre + 23 % en Irlande, + 14 % aux Pays-Bas, 12 % au Royaume-Uni, 10 % en Pologne, + 7 % au Danemark et + 6 % en Allemagne, la France n’est pas la plus mal placée dans l’Europe laitière. Contrairement à la plupart de nos voisins, le foncier est bon marché. De 6 000 €/ha chez nous, le prix le plus bas, il grimpe à 50 000 €/ha aux Pays-Bas.
Côté coût de production, la France se situe dans la moyenne à égalité avec l’Allemagne, derrière le Danemark et les Pays-Bas. Seule l’Irlande, qui privilégie le pâturage, est mieux placée. Certes, la productivité du travail (production de lait par UTA) est plus faible en France, en raison d’une taille plus modeste des exploitations et d’une moindre spécialisation. En revanche, et comme en Allemagne, les contraintes environnementales y sont moins fortes qu’au Royaume-Uni, au Danemark et au Pays-Bas, même si leur application et la pression réglementaire est plus stricte dans notre pays. L’Irlande étant mieux lotie de ce point de vue.
Ce qu’on peut considérer comme un handicap par rapport à nos partenaires porte sur la densité laitière, plus faible chez nous qu’ailleurs, ce qui n’est pas sans conséquence sur la compétitivité de la filière. Par contre, grâce à ses signes de qualité, ses marques mondialement connues, la diversité de ses productions, son marché intérieur captif, le prix du lait en France est «moins volatil» en France qu’ailleurs, note Gérard You. Ce que l’on peut regretter, par contre, c’est que ce prix en valeur absolue ne soit que dans la moyenne européenne, à égalité avec l’Allemagne.
Endettement des éleveurs laitiers, l’Institut de l’élevage confirme la fragilité des exploitations
A la suite d’une enquête réalisée au premier trimestre 2016, auprès des créanciers des éleveurs (coopératives, Cuma, fournisseurs, etc), «ils confirment une nette augmentation des encours, la présence de nouveaux publics d’éleveurs en difficultés - des gens que l’on n’avait pas l’habitude de voir - et beaucoup de fournisseurs se retrouvent de fait «banquier à la place du banquier», observe Benoît Rubin, délégué régional Bretagne, Pays de la Loire à l’Institut de l’élevage.
Entre 2017 et 2013, l’agrandissement des structures a été à l’origine de «la tension des trésoreries». D’autre part, «certaines exploitations présentent un manque chronique de financement», constate-t-il. Depuis 2013, la volatilité des cours, la diminution et la dilution des aides Pac notamment en zone de plaine, la nécessité d’optimiser les performances techniques, l’augmentation des charges, etc., sont à l’origine des difficultés des exploitations.