«Face aux réalités, comment envisager l’avenir ?»
Tel était le thème de la «table ronde» organisée lors du congrès de la FDSEA de l’Oise, ce mardi 29 novembre à Bresles.
L’objectif était de partager, réfléchir aux pistes pour sortir de la crise dont souffrent aujourd’hui les agriculteurs. Revendiquer, et construire l’avenir ! Pour alimenter les débats, quatre intervenants avaient été invités, dont trois agriculteurs : deux de la Somme, Laurent Degenne, ancien président de la FDSEA et actuel secrétaire général de la FRSEA, et Jean-Michel Serres, également ancien président de la FDSEA, et actuellement conseiller régional, vice-président de la commission agriculture ; et Hervé Pillaud, agriculteur en polyculture-élevage en Vendée, membre de la Chambre d’agriculture, et «ageekulteur» (agriculteur utilisant le numérique et la robotique pour gérer son exploitation).
Le quatrième intervenant, Michel Meunier, n’est pas issu du monde agricole, mais il était appelé à témoigner sur son expérience de jeune chef d’entreprise dont la première affaire, créée quand il n’avait que dix-neuf ans, a connu l’échec en 2012. Ayant tout perdu, il a su cependant rebondir et est de nouveau à la tête d’une entreprise de serrurerie très dynamique, qui diversifie ses activités, la société Janus France. Il a su développer de nouvelles activités en s’appuyant sur l’expérience des autres, ceux qu’il a rencontrés au Centre des jeunes dirigeants. Dans ce réseau, il s’est investi et a pris des responsabilités, en ayant été le président national.
«Il faut sortir de son isolement, échanger», disait-il, en rappelant à ce public d’agriculteurs, qui fait «un des plus beaux métiers» que les difficultés économiques touchent tous les secteurs d’activités. «Et quand ça va mal, il vaut mieux éviter tout système d’assistanat, expliquait-il, même s’il est légitime de demander à l’Etat d’accompagner les entreprises dans leur développement. Ce sont elles, et elles seules, qui créent de la richesse.» Mais ces entreprises doivent s’adapter en permanence et résister aux changements : ce ne sont pas toujours les plus fortes qui s’en tirent le mieux. Michel Meunier citait l’exemple de Kodak, entreprise qui a été leader mondial sur le marché des appareils photos argentiques, et qui s’est fait balayer en prenant trop tard le virage du numérique.
Cet entrepreneur, qui connaît bien le monde rural en ayant côtoyé les agriculteurs dans sa jeunesse, a le sentiment que les agriculteurs ne s’ouvrent pas suffisamment au monde économique. Aussi leur conseillait-il de se rapprocher davantage du client final, qui ne veut pas forcément des produits pas chers. Selon lui, surtout en produits alimentaires, la qualité des produits français peut être bien mieux valorisée.
Du collectif au numérique
D’esprit entreprenarial, il en était question aussi dans le propos de Laurent Degenne. Celui-ci rappelait que la perception par le monde économique de l’agriculture, et des secteurs de la production en général, a changé depuis la crise des marchés financiers en 2008. Les agriculteurs sont devenus des entrepreneurs, mais leur environnement économique a changé depuis la dérégulation des marchés : à eux de s’adapter dans le choix de leurs productions. Avec cette difficulté du manque de lisibilité non seulement dans les prix, mais aussi dans les réglementations.
L’adaptation économique est facilitée par un bon niveau de formation, estime Laurent Degenne qui continue de croire à l’organisation collective : seul, on n’est rien, on ne peut pas développer un marché. Il faut s’organiser collectivement en «contre-pouvoir pour éviter le moins-disant», les prix toujours plus bas pour tenter de rester compétitif. Alors qu’il y a toujours nécessité pour chacun de couvrir toutes les charges et de dégager de la marge.
La difficulté en agriculture est de générer du résultat, dont d’ailleurs les deux tiers sont systématiquement confisqués en charges sociales et fiscales. Il faut organiser les filières, s’adapter à son environnement économique, et cela vaut pour toute entreprise, petite ou grande. Laurent Degenne citait aussi une grande entreprise, Flodor, pour laquelle il a été producteur de pommes de terre. Cette société a été victime d’une concurrence mieux organisée, et maintenant les producteurs français doivent travailler pour des sociétés marnaises ou étrangères qui fabriquent des chips ou des frites... et à leurs conditions. «On donne notre minerai aux Belges !» Une hérésie au vu de l’attractivité du territoire.
Une attractivité sur laquelle le Conseil régional des Hauts-de-France compte s’appuyer pour développer de la valeur ajoutée sur son territoire et créer des emplois. Aussi dans un budget bien que contraint, la collectivité a affecté au budget de l’agriculture vingt-cinq millions d’euros. La volonté de Xavier Bertrand et des élus régionaux de sa majorité est d’aider tous les agriculteurs, qu’ils soient en bio ou en conventionnel, même si le bio - qui bénéficiait d’une aide exceptionnelle en Picardie - connaît une très forte croissance. Les crédits à la recherche sont maintenus, disait Jean-Michel Serres, qui a rappelé la tenue des Etats généraux de l’élevage puis, suite à une moisson 2016 catastrophique, des Etats généraux du végétal. Des groupes de travail ont été mis en place et doivent définir des actions pratiques. La volonté du Conseil régional est d’accompagner les agriculteurs, de les aider dans leur métier par des actions structurantes, et qui permettent de maintenir des activités diversifiées, dont l’élevage, sur tout le territoire.
Quoi qu’il en soit, et en toute circonstance, «il ne faut pas subir», disait Hervé Pillaud, et se tourner résolument vers l’avenir en ne ratant pas le coche du numérique. Selon lui, les nouvelles technologies sont en train d’apporter de profonds changements dans notre société. Elles changent l’information, la façon dont est traitée chaque donnée : c’est le Big Data. Le numérique change aussi la communication, car il permet à un nombre de plus en plus grand de personnes de s’exprimer... sur tout et n’importe quoi, parfois n’importe comment ! Et il change le management, la façon de gérer. «Le numérique est sous-exploité pour appliquer les connaissances», disait-il, en se disant convaincu qu’on est «à l’aube des changements apportés par le numérique, surtout en matière de commercialisation, mais aussi de production». Mais il ne s’agit que d’une technique à la disposition des agriculteurs et des entreprises pour les aider dans leurs tâches. Reste que contrairement à ce que l’on pense ce n’est pas le numérique qui doit être intégré à l’agriculture, mais l’inverse. Un chemin qui reste amplement à explorer.