L'intelligence collective pour innover
Le travail inter-entreprises à Agrinove aboutit en machinisme à de belles innovations imaginées par
les producteurs, conçues par des centres de recherches
et commercialisées par des entreprises.
La technopôle Agrinove a convié ses partenaires à une réflexion sur l’intelligence collective lors de la journée de débats et conférence Agrinove, à Nérac (47), le 9 novembre. Le monde agricole est riche de ses communautés de partage, de matériels, d’outils de production, de financement ou de promotion, construits et utilisés par un groupe de producteurs. Et cette force du collectif se poursuit à travers l’aventure Agrinove et ses trois clusters (voir encadré). «Le sujet est particulièrement d’actualité dans une société qui recrée, grâce aux nouveaux moyens de communication, un modèle économique plus basé sur l’usage collectif que la propriété», témoigne Gilbert Grenier, consultant du groupe PwC. Et l’innovation se trouve bien là dans l’immatérialité des partages et la possibilité de transmission d’information à distance, en limitant temps et coût de relevés. Ainsi, au sein de la coopérative des vignerons de Buzet, des services de partage de données cartographiques se développent pour réduire les apports de fertilisation. «Avec New Holland, nous avons conçu un système de réglage de l’épandage de l’engrais selon des données cartographiques du vignoble. L’objectif est de pouvoir ajuster automatiquement sa fertilisation selon les zones, explique Sébastien Labails, responsable vignoble de la coopérative. Nous avons récupéré des images aériennes des vignobles et le logiciel développé par New Holland les analyse et détermine les doses à apporter selon l’état de la végétation des plants. Grâce à un ordinateur de bord, ces données sont transmises à l’épandeur qui va moduler sa vitesse de rotation des vis.»
Co-conception et échanges gagnant-gagnant
Cette technique permet une économie de 30 % de fertilisant. L’objectif est d’étendre la prise de photos aériennes à l’ensemble des vignobles de la coopérative pour que l’outil soit accessible à tout le monde. «Chaque producteur ne peut pas se permettre d’investir dans cet outil d’aide à la décision, mais nous incitons les vignerons à faire un achat commun via une Cuma,renchérit le responsable vignoble. D’autres services de mutualisation sont envisagés, comme une mise en commun des relevés de pièges d’insectes avec une remontée vers des spécialistes qui pourront déterminer les ravageurs piégés. Ce mode de fonctionnement peut être gagnant-gagnant : nous apportons des informations spatialisées aux chercheurs sur des ravageurs, et ils nous en fournissent par de la détermination.»
Autre exemple de cette co-conception de machines : le système agrogéovision de l’entreprise Razol. Ce dispositif a été développé en partenariat avec Bordeaux Sciences agro et la start-up Rhoban émanant du CNRS. La connaissance en robotique de cette dernière a permis le développement d’un châssis mobile permettant la translation autoguidée des éléments bineurs pour du désherbage de précision au centimètre près de grandes cultures en ligne (betterave et maïs). Sélectionné aux Innovation Awards du Sima 2015, le concept sera développé sur cultures légumières. Le guidage se fait par GPS et caméras, dont l’association permet de définir un plan de conduite en début de saison. Par la suite le tractoriste, équipé du GPS, pourra passer à toute heure, du jour ou de la nuit, le châssis suivra les rangs. Mais le projet ne s’arrête pas là. En partenariat avec l’école Bordeaux Sciences Agro, les images récupérées par les caméras embarquées sont en cours de traitement afin de développer un système qui puisse fournir des informatisons sur l’état de la culture.
Partenariats de formation
Cette intelligence collective ne s’illustre pas que sur de la co-conception de matériels, mais aussi sur des partenariats de formation. Ainsi en est-il de la formation C@p, Conduite de tractoristes viticoles. «Les viticulteurs sont à la genèse de cette formation, car ils ont des difficultés à trouver des chauffeurs capables de conduire des engins de plus en plus perfectionnés», explique Emmanuel Catherineau, responsable pédagogique de l’enseignement agro-viticole de Gironde.
Cette formation continue, modulable, à destination de salariés ou de demandeurs d’emploi, a réuni une multitude de partenaires pour son montage : OPCA (Organisme paritaire collecteur agréé pour la formation continue), Pôle emploi, centre de soudure, MFR et entrepreneurs en machinisme... «Grâce à ce partenariat, les stagiaires ont accès au matériel le plus performant et les entreprises peuvent profiter de notre plate-forme de conduite pour faire des démonstrations», continue Emmanuel Catherineau.
Les demandeurs d’emploi qui l’ont suivie ont trouvé du travail dans les six mois. La formation est d’ailleurs victime de son succès, ne pouvant pas répondre à toutes les demandes. «Ce projet, tout d’abord régional, a une vocation nationale avec un partenariat en construction en Champagne», insiste le responsable pédagogique. Ce regroupement d’acteurs divers se retrouve dans le cluster Thématik, qui a pour vocation de travailler des sujets communs à des filières à haute valeur ajoutée du Lot-et-Garonne. «L’innovation de cette démarche tient dans le fait de réunir autour d’une table des acteurs qui au mieux ne se connaissent pas, au pire sont concurrents afin de travailler ensemble tout en restant dans l’expertise de leur production», conclut Franck Brosset, animateur de Thématik.
Une pépinière pour le machinisme
Né il y a deux ans, le pôle technologique Agrinove concentre des entreprises, dont une grande partie dans le domaine du machinisme. Secteur qu’elle compte développer avec l’ouverture de sa pépinière d’entreprises en 2016. Le pôle technologique Agrinove, inspiré du succès de l’Agropôle d’Agen dans le domaine agroalimentaire, anime trois clusters d’entreprises, dont un était à l’honneur ce jour : le cluster machinisme.
Fort d’une dynamique historique de conception, création et construction de matériel agricole dans le pays d’Albret, ce cluster, créé depuis deux ans, regroupe actuellement vingt-cinq entreprises. «Nous avons débuté à douze, principalement issus du Lot-et-Garonne. Maintenant, nos membres sont issus de six départements d’Aquitaine ou limitrophes, et nous souhaitons étendre le projet à toute la grande région», insiste Patrick Lezer, président du cluster machinisme, et représentant de l’entreprise Raziol. L’objectif de celui-ci est de pouvoir accompagner le développement de matériel, transversal (ex nacelles de récolte) ou propre à une filière, en mettant en relation porteurs de projet et entreprises ou centres de recherche. Agriculteurs, coopératives ou acteurs du territoire peuvent donc frapper à la porte de cet organisme pour trouver un accompagnement en recherche ou en développement pour commercialiser des outils innovants. C’est souvent du matériel spécifique à une filière ou avec des caractéristiques particulières (taille, polytâche), dont le développement n’intéresse pas des industriels d’envergure, car la taille du marché est trop restreinte.
Lancement du concours Agrinove
Le cluster travaille aussi en partenariat avec les centres de formations pour adapter les formations de conducteurs d’engins agricoles afin de pallier aux problèmes de recrutement dans ce secteur. Le but est aussi de mutualiser des moyens, comme sur l’achat de certains composants. «Agrinove accueillera, dès 2016, une pépinière d’entreprises dans le domaine du machinisme. Le centre de ressources et le centre d’usinage et de prototypage lui permettra de concevoir et fabriquer son innovation sans avoir à trop investir. C’est là l’intérêt de notre cluster et les entreprises le comprennent au vu du nombre qui viennent frapper à la porte», souligne Pierre Camani, président du Conseil départemental du Lot-et-Garonne.
«Afin de détecter les projets intéressants, nous avons lancé en 2014 le concours Agrinov qui récompense par un prix les premiers choisis. Mais un suivi est aussi assuré pour les autres projets sélectionnés, soit 23 en 2014», assure Louis Uminski, vice-président du syndicat mixte pour le développement économique du Néracais. «Ce concours est reconduit cette année et les dépôts de candidature peuvent commencer ce jour», a annoncé Pierre Camani.
«L’intelligence collective»
«Selon Wikipedia, qui est un bon exemple d’outil développé grâce à l’intelligence collective, celle-ci est la capacité d’une communauté à résoudre par synergie des problèmes complexes grâce à l’interaction sociale entre les individus, et ce, malgré une information localement limitée de chaque individu. Il semble qu’avec un peu d’intelligence collective le tout puisse être davantage que la somme des parties.
Les bases de ce concept sont l’absence de cloisonnement des compétences, l’implication de tous et l’absence de vision hiérarchique», explique Gilbert Grenier.