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Céréales
Retour sur la campagne 2024 : comment expliquer cette désillusion à la moisson ?

Entre conditions climatiques difficiles (excès de pluies, manque de luminosité/rayonnement…) et une pression maladies inédite, Arvalis revient sur plusieurs éléments d’explication de la contre-performance des productions de blé et d’orges en Hauts-de-France en 2024.

L’année 2024 sera marquée par une pression septoriose inédite par sa précocité et son intensité suite aux pluies régulières tout au long du printemps.
L’année 2024 sera marquée par une pression septoriose inédite par sa précocité et son intensité suite aux pluies régulières tout au long du printemps.
© A. P.

2024 est une année olympique mais pour la filière céréalière, elle n’est pas synonyme de records ou performances, mais plutôt de désillusions et d’interrogations.

 

Un début de campagne perturbé par la pluie

Les implantations sont perturbées par la pluie qui s’invite sur la région dès la mi-octobre puis quasiment sans discontinuité sur tout le reste de la campagne. Globalement, les orges d’hiver ont pu être semées début octobre avant les pluies, mais les semis de blé ont été arrêtés à la mi-octobre. Les créneaux pour implanter les blés dans de bonnes conditions se font très rares en novembre et on retrouve quelques périodes favorables en décembre ou en janvier. Ainsi, seulement 67 % des blés sont semés au 25 octobre contre 75 % habituellement et 20 % des blés sont semés après le 25 novembre dans la région, principalement derrière les précédents récoltés tardivement (betteraves, pomme de terre…). La qualité des levées est hétérogène avec des parcelles parfois engorgées d’eau où l’enracinement ne se fait pas de manière optimale. Des pertes de pieds allant jusqu’au retournement de certaines parcelles s’observent.

Les pucerons d’automne sont peu présents, perturbés par les conditions climatiques pluvieuses et venteuses, peu de symptômes de JNO sont signalés en sortie d’hiver, sur orges comme sur blés. Le lessivage de l’azote est bien visible cette année dans toutes les situations (secteurs, type de sol, précédents…) mais est compensé par une minéralisation très forte en raison des conditions météo favorables. Les reliquats sortie d’hiver (RSH) sont de 60 kg/N/ha en moyenne, avec peu de nuances en fonction du précédent, du type de sol… Depuis le début de cycle, l’azote est présent en surface, ce qui a pu limiter l’enracinement en profondeur.

 

Des conditions peu favorables aux composantes de rendement

Les cumuls de températures de l’automne-hiver sont élevés et engendrent une avancée record du stade épi 1 cm pour les semis précoces : 10-15 j d’avance par rapport à la moyenne 20 ans (stade atteint autour du 10-15 mars
pour les parcelles les plus précoces). Seules exceptions, les parcelles gorgées d’eau et/ou les semis de novembre reclaqués qui végètent malgré la douceur. Puis, en raison des excès d’eau et des températures plus fraîches de la 2e quinzaine d’avril, les stades n’avancent plus aussi vite que prévu. L’avance se résorbe et les dates d’épiaison sont finalement proches de la moyenne (autour du 15-25 mai).

La nébulosité persistante et les passages pluvieux quasi-quotidiens de mars-avril réduisent le rayonnement arrivant aux plantes : la montée à épis est perturbée par cette concurrence pour la lumière. Par ailleurs, le drainage se poursuit plus tardivement en saison et la valorisation de l’azote ne semble pas optimale : la nutrition des plantes a pu être affectée par les excès d’eau, le manque d’oxygénation passager (phénomène d’anoxie), et l’enracinement limitant dans bons nombres de situations (croissance superficielle des racines, sol compacté, mal structuré…).

À floraison, les biomasses sont modérées (autour de 12-14 tMS/ha) et le nombre d’épi/m2 est en retrait par rapport à la moyenne pluriannuelle, mais n’est pas limitant. L’alternance de période très sombres et de jours plus ensoleillés avec peu de pluies perdurent sur le reste du printemps. La fertilité épi (le nombre de grains par épi) est donc en léger retrait par rapport à d’habitude (mais bien plus si on compare aux dernières années) et surtout, on peut la considérer comme faible compte-tenu du nombre d’épis déjà limité. La fertilité épi ne permet donc pas de compenser le nombre d’épi/m2 et le nombre de grains/m2 est faible cette année, surtout en comparaison aux dix dernières années.

Les premières composantes de rendements ne semblaient pas très satisfaisantes, mais tout n’était pas encore joué. Début juin, on pouvait encore espérer compter sur le remplissage et le PMG pour rattraper.

 

Présence extrême des maladies : septoriose et rouille brune

L’année 2024 sera marquée par une pression septoriose inédite par sa précocité et son intensité suite aux pluies régulières tout au long du printemps. La pression est extrême et très difficile, voire pas contrôlable, sur variétés sensibles semées hors créneau. Pour les variétés résistantes ou les semis tardifs, la pression est moindre, mais reste nettement supérieure à d’habitude.

La rouille brune est également présente depuis le début du cycle, mais explose en fin de campagne avec le retour de la chaleur sur variétés sensibles. Elle est cependant plutôt bien contrôlée par les traitements effectués à dernière feuille étalée et à floraison.

La nuisibilité est élevée cette année sur la région, en moyenne autour de 20-25 q/ha (soit + 10 q/ha par rapport à la moyenne pluriannuelle) et dans les situations les plus extrêmes, peut atteindre jusqu’à 40-50 q/ha ! Le pilotage de la protection fongicide était essentiel cette année, en intervenant au bon stade de la culture avec des doses et des délais de réintervention adaptés. Beaucoup de déceptions cette année sont liés à des défauts de protection soit avec des T1 trop précoces peu utiles et entraînant une difficulté de positionnement des traitement suivants, soit avec des T2 mal positionnés ou des doses non adaptées à la pression de l’année. On retiendra cette campagne comme une année très technique. Le reste des maladies reste relativement discret : un peu de piétin verse, de rouille jaune et d’oïdium peuvent être signalés sur variétés sensibles, mais sans débordement. Malgré les pluies fréquentes autour de la floraison, la fusariose sur épis reste discrète, mais tout de même présente. Les conditions étaient plus favorables au développement de la flore Microdochium plutôt que Fusarium graminearum. Les orges sont touchées précocement par la rouille naine (surtout les variétés sensibles), la rhynchosporiose et l’helminthosporiose sont présentes, mais relativement contenues tandis que la ramulariose attaque fortement en fin de cycle et fait tourner rapidement les parcelles après floraison. Le remplissage s’en trouve fortement affecté.

 

Un remplissage catastrophique, surtout quand les maladies ne sont pas contrôlées

Malgré des conditions météo qui pouvaient sembler favorables au remplissage des grains (températures clémentes sans stress hydrique), le début du remplissage est marqué par un manque de rayonnement (fin mai-début juin) très défavorable qui limite dès le départ la taille des enveloppes des grains et impacte le Poids de mille grains (PMG), mais aussi le potentiel de PS.
Ensuite, malgré le retour de conditions plus lumineuses (en dents de scie) la trajectoire de remplissage des grains ne se rehausse pas/peu. L’impact des maladies en fin de cycle sur le remplissage est indéniable : dans les situations où la septoriose est mal contrôlée, le PMG est très fortement affecté. Les situations les plus tardives et/ou avec un bon contrôle des maladies échappent en partie à cette séquence défavorable et les PMG sont meilleurs dans ces situations. Au final, le PMG moyen est très décevant et le progrès génétique est complètement gommé encore une fois par les fins de cycles difficiles.

Tout comme les blés, la météo qui suit la floraison des orges reste maussade et elles débutent leur remplissage sous un rayonnement très limitant. La ramulariose vient «finir le travail» en accélérant la senescence du feuillage. Le remplissage des orges est fortement affecté et les PMG sont en net retrait.

 

Une moisson morose et une qualité hétérogène

Les PMG n’ont pas permis de compenser le nombre de grains/m2 déjà en retrait cette année et les rendements régionaux sont donc très décevants, inférieurs de 18 à 25 % par rapport à la moyenne 10 ans. Les rendements de blés attendraient : 75 q/ha dans le Nord-Pas-de-Calais (- 18 % par rapport à la moyenne 10 ans) ; 74 q/ha dans la Somme (- 18 %),  68 q/ha dans l’Oise (- 19  %), 65 q/ha dans l’Aisne (- 23 %).

De fortes disparités s’observent malgré tout : les semis tardifs moins touchés par les maladies et les manques de rayonnement lors des stades clés, les parcelles bien protégées contre les maladies… ne sont pas tant affectés et les pertes de rendements tournent plutôt autour de - 8 à 10 %.

Les PS sont globalement moyens même pour la grande majorité des parcelles récoltées avant les pluies de début août. Encore une fois, on observe une grande disparité entre situations : les parcelles plus tardives échappent à l’excès d’eau/manque de rayonnement de début remplissage qui affecte le potentiel de PS. De même, les parcelles où la maladie est bien contrôlée affiche des PS beaucoup plus satisfaisants. Les teneurs en protéines sont correctes sans être pléthoriques au vu des rendements décevants de l’année et parfois très variables entre secteurs.

On retiendra donc 2024 comme une année décevante globalement, mais également comme une année très technique où les erreurs au champ entraînent des pertes de rendements plus importantes et des PS mauvais. Les aléas climatiques, les phénomènes de résistances aux fongicides, le «vieillissement» des matières actives nous donnent moins de souplesse technique qu’auparavant : on se doit donc d’être d’autant plus rigoureux sur les observations, l’adaptation à la parcelle et à l’année, le choix, le positionnement et la dose des produits.
Des hypothèses restent encore à explorer sur la dynamique de l’azote cette année pour continuer d’expliquer les rendements décevants mais aussi les protéines parfois faibles au regard de ce rendement :

- Globalement, il manquait d’azote absorbé à floraison (souvent lié à un défait d’absorption précoce) d’où les conseils d’OAD (qui interrogent les besoins de la plante à un moment) souvent élevés à dernière feuille.

- Les plantes semblent avoir fortement absorbé l’azote entre 1 nœud et dernière feuille, mais très peu ensuite entre DF et floraison. Des questions restent donc sur la valorisation du dernier apport. Quel impact du mauvais enracinement, associé à de l’hypoxie/manque d’oxygénation (sol «vert» encore en juin) sur l’absorption racinaire ? Les plantes ont-elles «priorisé» le développement foliaire pour capter la lumière en période de manque de rayonnement au détriment de l’absorption racinaire ?

- Enfin, pendant le remplissage, l’azote a-t-il été correctement remobilisé vers les grains ?

Probablement pas dans toutes les situations, et ce, en raison de la pression maladie : il y a de fortes chances pour que l’azote ait été bloqué dans les feuilles des étages supérieurs, là où il avait été stocké pour tenter de préserver le potentiel.

 

Et en orges d’hiver ?

La densité épis des escourgeons est en retrait de 16 % par rapport à la moyenne 10 ans. La montée à épis est, au sein de la plante, source de concurrence pour l’azote, l’eau et la lumière. Or, en situations de manque de rayonnement comme nous l’avons connu durant la montaison, la photosynthèse est limitée, et seules les talles les plus développées montent à épis. Il n’est donc pas rare de voir des taux de régressions de talles assez élevés cette année sur cette espèce. Comme en blé, les conditions de l’année n’ont pas été propices à une compensation du faible nombre d’épis par la fertilité d’épi : le nombre de grains par m2 est donc largement en retrait. En plus, contrairement aux épis de blés, on peut facilement observer du gel de bout d’épis et des grains manquants dans les épis d’orges cette année.

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