Sébastien Joly : l’autonomie déclinée en diversification
Sébastien Joly fait de la vente directe des poulets qu’il élève dans sa ferme à Saint-Fuscien.
Si les Catalans réclament à corps et à cri l’indépendance de leur région au pouvoir madrilène, Sébastien Joly la revendique tout autant dans son métier d’agriculteur. Le Pays basque y est sans doute pour quelque chose... C’est en effet là-bas que l’autonomie des exploitations, gagnée par le déploiement de la vente directe, a fait sens pour lui. Pourtant, le premier contact avec les Basques avait été quelque peu rugueux. Mais, comme toujours avec ces peuples au caractère bien trempé, une fois la glace brisée, le partage est de rigueur et les enseignements qu’ils délivrent sont riches.
Ce fils et petit-fils d’agriculteurs, qui ne sait plus d’ailleurs quand a commencé la lignée de sa famille dans l’agriculture, n’imaginait pas forcément s’installer. C’est pourtant ce qu’il va faire après un IUT de génie biologique, un an de prépa au Paraclet, suivi d’AgroParisTech. «A chaque stage, durant mes études, j’ai toujours été dans des exploitations développant la vente de viande directe, du porc particulièrement. Ce fut d’autant plus une découverte que, chez nous, il n’y a pas grand monde qui en fait. Mon dernier stage, lui, était à l’Inra, à la Roche-sur-Yon, sur la thématique de la durabilité de la filière avicole en France», raconte Sébastien Joly.
S’installer en diversification pourrait être intéressant, pense le jeune agriculteur qui, jusqu’ici, associait le métier à des journées interminables dans les champs et à la traite des vaches, comme nombre d’agriculteurs le font dans la Somme. Pas son truc du tout. «La diversification propose vraiment un autre mode de production. On maîtrise ce que l’on produit de A jusqu’à Z. Autrement dit, cela nous offre une véritable autonomie», explique-t-il. Et l’autonomie, c’est son truc. Aussi, quand son père prend sa retraite en 2010, Sébastien décide de prendre la relève.
Des débuts difficiles
S’il sait déjà qu’il fera sa diversification en productions animales, il n’est pas encore fixé sur son choix. Seule certitude : redémarrer l’atelier lait que son père a arrêté en 2006 est hors de question. Sa première idée est de faire du porc, comme dans les exploitations où il a été en stage. Mais il sait qu’installer un atelier porc dans son village risque de soulever une levée de boucliers de la part des habitants. Sans compter la dépendance que les éleveurs ont avec l’abattoir. Il laisse tomber et choisit, «par défaut», de faire des poulets, imaginant que cet élevage sera bien moins problématique.
Erreur. Les deux petites cabanes déplaçables de 60 m2 qu’il monte pour faire son élevage, au bord d’une parcelle entourée d’habitations, deviennent la cible du voisinage, qui l’attaque au tribunal. Mais d’un malheur peut sortir un bonheur. Une conciliation est trouvée entre la mairie, les voisins et l’agriculteur. Ce dernier doit déménager sur une parcelle isolée, classée en zone naturelle. Une modification est donc apportée au Plan local d’urbanisme et la zone passe en zone agricole.
Une chance inespérée, puisqu’il peut construire un bâtiment d’élevage de 900 m2 pouvant accueillir jusqu’à 7 700 poules. Ce qui lui donne une capacité d’abattage de 700 volailles par semaine, bien supérieure à sa capacité antérieure, qui était de 200, trois ans après avoir lancé son activité. Fini le temps du plumage des poulets et de leur alimentation à la main. Le bâtiment est totalement automatisé pour l’alimentation, l’éclairage et la ventilation. De quoi gagner du temps et engranger moins de fatigue physique. Reste que celui qui s’est lancé dans la vente directe est tout sauf un as de la vente, de son aveu.
La vente directe
La vente directe dans son magasin à la ferme est en dessous de ses espérances. Il lui faut d’autres débouchés, qu’il trouvera dans les Gamm Vert, chez des bouchers, dans la vente directe de produits fermiers en ligne, gérée par une société parisienne, et à partir de la plate-forme «Somme produits locaux». A présent, son affaire tourne bien, au point que ce qui était une activité complémentaire est devenue majoritaire dans son chiffre d’affaires, soit 70 % pour les poulets et 30 % pour les céréales. Mais celui qui ne supporte pas de faire du surplace s’est désormais investi dans le projet d’un magasin de vente collectif avec d’autres producteurs fermiers.
«On était auparavant sur un projet de distributeurs automatiques collectifs, mais cela n’a pas abouti. Puis, Emmanuel Lardé nous a proposé de nous engager dans un magasin collectif sur un terrain disponible à Glisy. Les points de vente collectifs, il y en a partout, sauf chez nous, alors que cela marche très fort. C’est un gros débouché supplémentaire pour nos produits. J’ai donc suivi», indique Sébastien. Outre l’intérêt économique, le projet le séduit aussi parce qu’il est collectif et lui permet de ne pas s’enfermer dans ce qu’il fait. Autre atout : les neuf agriculteurs engagés sont, pour la plupart, des jeunes qui viennent de s’installer ou se lancent dans la diversification. La motivation de tous est donc forte. «Puis la diversification, avec son volet de vente directe, permet de retrouver une place valorisante dans la société. Les consommateurs sont très demandeurs de produits fermiers», commente-t-il.
Et si cela ne suffisait pas, ce chantre de l’autonomie, qui a l’esprit collectif avec les autres agriculteurs, souhaite monter - «si la banque le veut bien» - une fabrique d’aliments pour ses animaux à même la ferme. «En fabriquant moi-même mes aliments, cela me permettra d’avoir des coûts alimentaires moindres et de valoriser 50 à 60 % des céréales que je produis en année normale. En faisant cela, les consommateurs auront une traçabilité totale de mes poulets élevés, nourris, abattus et découpés à la ferme. Puis, j’en ai marre de vendre aux coopératives mes produits à partir de prix que je ne peux pas fixer. L’agriculteur ne doit pas être seulement celui qui produit pour les autres et qui subit les prix imposés», explique-t-il. L’autonomie, c’est bel et bien devenu sa marque de fabrication.