Témoignage d'un agriculteur : «Vivre sans trésorerie depuis plusieurs années, c’est dur»
Viscéralement attaché à sa terre, à la ferme transmise par son grand-père, à son métier et à son village, Jean-François se bat depuis des années pour sauver l’exploitation. Son parcours.
«J’adore encore mon métier. Mais vivre sans trésorerie depuis plusieurs années, c’est dur. Et quand vous reprenez confiance, c’est le moment où vous avez toujours de mauvaises nouvelles qui vous arrivent par courrier et vous rappellent ce que vous devez payer. Je suis noyé sous les courriers de rappel au point que je ne sais plus, à des moments, ce que je dois payer. Cela fout le moral à zéro», dit Jean-François (1). Dur, en effet, de voir défiler les huissiers à la maison. Dur aussi de voir les portes des banques se refermer alors que le changement de système de son exploitation en élevage et polyculture est prometteur. Dur, encore et toujours, de se demander si on pourra subvenir aux besoins du quotidien de la famille et d’être interdit de chéquier. Dur, enfin, de ne pas pouvoir payer les médicaments, ni les soins dont ses vaches ont besoin.
Il n’empêche. La passion de l’agriculture est là, chevillée au corps, indéboulonnable, grâce à un grand-père qui lui a transmis l’amour du métier de paysan et des bêtes. «J’ai tout fait pour faire ce métier. J’aime la terre, la nature, les gens et mon village», confie-t-il. Avant de vous détailler l’importance de l’herbe pour l’alimentation des vaches, cet or vert dont beaucoup d’éleveurs se détournent, préférant retourner leurs prairies. Une hérésie pour lui. Alors, parce que cet amour est plus profond que tout, il n’a pas hésité et continue à taper aux portes pour chercher de l’aide.
Descente aux enfers
Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage, Jean-François s’installe dans les années 2000 sur l’exploitation familiale, où il succède à son père. Des projets pleins la tête, il s’attaque d’abord au développement du cheptel laitier. Pour ce faire, il bâtit lui-même son bâtiment d’élevage. Mais si le lait a bien payé, tel n’est plus le cas les années qui suivent. Or, c’est sur le lait qu’il a tout misé. En dix ans de temps, il se retrouve avec 100 000 € de dettes.
Il prend peur, craignant de perdre l’exploitation qui lui a été transmise. Pour se refaire un peu, il vend du matériel, se met en Cuma, tente de diminuer les intrants, mais les programmes calés par les coopératives rendent toute sortie impossible et augmentent ses dettes. Face à cette impasse, il commence à perdre confiance et s’isole des siens, comme de la vie du village. Esseulé, il finit par entrer dans le dispositif Agridiff. S’il obtient des aides financières, le conseiller qui le suit de la chambre d’agriculture - un technicien plaine - l’incite à dépenser plus en produits. La descente aux enfers se poursuit.
La première fois que l’huissier tape à sa porte, «vous mettez deux jours à vous en remettre», dit-il. Il se tourne alors vers la MSA, Solidarité Paysans et négocie avec chacun de ses fournisseurs. «J’ai toujours fait le premier pas, animé par la volonté de m’en sortir et de sauver la ferme transmise par mon grand-père», indique-t-il. Mais le stress gagne du terrain. Il perd le sommeil. «Je me demandais tout le temps comment j’allais rembourser mes dettes. Côté travail, je suis entré dans une routine, puisque je n’avais pas les moyens de donner ce qu’il fallait à mes bêtes», avoue-t-il.
Il change de système
Il faut trouver la porte de sortie qui permettra de le remettre à flot. Depuis des années, Jean-François envisage de changer de système pour revenir aux pratiques d’antan. Aucun des partenaires professionnels ne l’incitent à avancer dans cette direction, ni ne tirent la sonnette d’alarme. «Ce que je leur reproche aujourd’hui, c’est de me laisser porter l’entière responsabilité alors que la plupart m’ont poussé à produire toujours plus, ce qui a entraîné des charges, que ce soit sur les produits phytosanitaires, les engrais, les compléments de ration, etc., qui ont fini de me couler», s’énerve-t-il.
Voyant sa situation comptable se dégrader une année après l’autre, il se laisse convaincre par les conseillers de ne pas changer de système, faute de trésorerie. «On n’est pas fier de soi quand on se retrouve dans cette situation. Vous finissez par douter de tout, et surtout de vous-même. J’ai fini par dire non à tous et me suis lancé il y a peu. J’ai perdu du temps. Hormis mon technicien du contrôle laitier et un ami agriculteur, personne ne m’a incité à y aller. J’ai eu aussi le déclic lors d’une formation Certiphyto, qui m’a fait prendre conscience de l’effet des phytos sur les sols et les hommes. Quand on est dedans, on ne se rend pas compte», raconte-t-il.
Mais la banque le lâche au moment où il a besoin de faire des investissements pour changer de système, bloquant sur ses bilans comptables. Il multiplie les rendez-vous avec son banquier. Mais rien n’y fait. «Pourtant, mes résultats allaient dans le bon sens. Mais, pour les banquiers, cela ne vaut rien. Je n’ai presque plus de crédit et ils ne veulent pas entendre parler de prêts pour mes dettes fournisseurs, qui ne sont pas astronomiques», relève-t-il. Mais, le plus dur, «c’est de sentir que les banquiers ne croient plus en vous. Or, tout passe par eux. Vous êtes littéralement menottés», s’insurge-t-il. Avant d’exploser : «A quand un rassemblement de tout le monde ? Quand ira-t-on tous ensemble dans le même sens ? Force est de constater qu’on laisse tomber les exploitations. Tant que tout le monde y trouve son compte, car il y aura toujours quelqu’un pour reprendre vos terres, rien ne bougera, mais quelle casse en attendant sur le plan social.»
L’espoir, il en a encore pourtant grâce à son changement de système. Pour se remonter le moral, quand celui-ci flanche, il pense à sa ferme ou prend sa voiture pour aller voir son ami agriculteur. «Il y aura des jours meilleurs», conclut-il. Il se battra pour.
(1) Prénom d’emprunt pour respecter l’anonymat de l’agriculteur.