Une plateforme agri-logistique à Languevoisin : l’objectif de Noriap
Avec six autres coopératives et deux acteurs portuaires, Noriap mène le projet d’une plateforme agri-logistique
directement reliée au (probable) futur canal Seine-Nord Europe.
Le canal Seine-Nord Europe ? «J’y crois, oui ! Pour moi, c’est quasiment acquis», acquiesce Martin Migonney, directeur général de Noriap. Si la coopérative a tant les yeux rivés vers le projet maintes fois reporté, c’est que l’intérêt est énorme.
Son ambition : connecter le silo Noriap de Languevoisin déjà existant au futur canal à grand gabarit et créer une véritable plateforme agri-logistique. Celle-ci sera spécialisée dans la logistique et le stockage de pondéreux. Chargement fluvial de céréales (destination Rouen, Dunkerque, Nord Europe…), déchargement fluvial de céréales pour les industriels locaux, déchargement et stockage d’engrais vracs et liquides, activités complémentaires (pulpes de betteraves, luzerne, sucre, biomasse, bois, plaquettes, grumes, pellets, granulats, compostage, déchets urbains, usine de méthanisation)… «Un à deux millions de tonnes pourraient transiter via Languevoisin. Nous pourrions devenir le deuxième ou troisième port fluvial de France», assure Martin Migonney.
Pour qu’un projet d’ampleur comme celui-là puisse se réaliser, Noriap s’est entourée d’autres coopératives. «En travaillant ensemble, non renonçons aux écarts de compétitivité, mais tout le monde sera gagnant.» En 2012, Noriap, six autres coopératives agricoles (Sana Terra, Cerena, Acolyance, Vivescia, Agora et Cap Seine) et deux acteurs portuaires (Senalia, leader du chargement portuaire de céréales basé à Rouen et In Vivo, Union nationale des coopératives françaises) ont créé l’Union Euroseine. Sa vocation : étudier la mutualisation du silo portuaire de Languevoisin et ses modalités de fonctionnement avec Voies navigables de France (VNF) en vue de la massification de leurs activités logistiques.
Des coûts amoindris pour les agriculteurs
Pour les agriculteurs, l’intérêt est aussi palpable. «La plateforme permettrait d’augmenter la part des exports par voie fluviale, à hauteur de 10 à 15 000 tonnes pour Noriap et, donc, de réduire les coûts de logistique. Soit des coûts diminués pour les coopérateurs.» Patience cependant, avant de profiter de cet avantage, car il faudra amortir les 80 millions d’euros d’investissement nécessaires à la construction d’un tel outil. «Mais en coopérative, la notion de retour financier est différente de celle du privé. Nous investissons pour la génération suivante.» Comptez 3 % par an d’amortissement pour chaque silo d’une espérance de vie de trente ans.
Concrètement, 48 hectares (y compris l’emprise du silo existant) seront nécessaires. La surface est déjà réservée dans le cadre de l’élaboration du Scot Pays du Santerre Haut-de-Somme et par la Communauté de communes de l’Est de la Somme. Noriap était déjà propriétaire de 15 ha sur les 48 ha, et elle a acquis 28 ha dans un périmètre de 10 km de Languevoisin. Un investissement d’un million d’euros de foncier. Reste au moins quatre ans de travail pour peaufiner l’avant-projet et réaliser les études ICPE, l’instruction des permis de construire et d’exploiter, les enquêtes publiques et la réalisation des travaux.
Partie juridique lourde
La partie juridique devrait aussi être conséquente : «Nous devons définir le statut juridique du quai, son système de gouvernance et le fonctionnement de la plateforme.» Question emploi, Noriap assure que les six postes du silo actuel seront au moins sauvegardés. «D’autres devraient aussi être créés, en fonction des activités qui y seront menées.»
La coopérative espère une ouverture en 2025 ou 2026. Mais l’avenir de la plateforme agri-logistique repose, bien sûr, sur celui du canal Seine-Nord Europe.
Le silo, aujourd’hui
L’actuel site de Languevoisin est déclaré auprès du Chicago Mercantile Exchange - un des principaux marchés à terme américains qui permet de coter au comptant ou sur le terme le prix des céréales et oléoprotéagineux sur un ensemble de références - comme site de livraison et d’entreposage de marchandises. Aujourd’hui, le site a une capacité de stockage céréales et oléoprotéagineux de 100 000 tonnes. Près de 120 000 tonnes d’expédition fluviale par an : 85 % des bateaux se dirigent vers le nord de l’Europe (Belgique, Pays-Bas, Allemagne), 10 % se dirigent vers la meunerie française en région parisienne et 5 % s’orientent vers les silos portuaires de Rouen et de Dunkerque.
Cela représente plus de 500 affrètements par an, 3 000 m3 de stockage de fertilisant liquide, une station de compostage, six salariés et 8 000 000 d’euros investis depuis 2010.
Le canal : feuilleton à rebondissements
Long de 107 km et large de 54 mètres, le canal Seine-Nord Europe vise à relier Compiègne, dans l’Oise, à Aubencheul-au-Bac, près de Cambrai, dans le Nord. Les travaux comprendront la réalisation du canal au gabarit européen, et des infrastructures annexes : un bassin réservoir, des quais à proximité des plateformes multimodales, des quais de desserte ou des équipements de plaisance.
Les enjeux du canal sont importants pour la filière céréalière du nord de France : les coûts logistiques fluviaux seraient réduits de 20 %. Des bateaux de capacité minimale de stockage de 2 500 tonnes remplaceraient les péniches à gabarit de «Freycinet» utilisées actuellement, de 350 tonnes de capacité de stockage.
Mais le dossier subit de nombreux rebondissements : en 1981, le ministre des Transports, Michel Rocard, relance le dossier, mais celui-ci reste figé pour cause de désaccords sur le financement et le tracé. Il faudra attendre Nicolas Sarkozy qui, en 2011, finit par donner le feu vert à cette infrastructure. Mais, à nouveau, le montage financier retarde les premiers coups de pioche qui auraient dû intervenir en 2012 pour une mise en service en 2017. C’est le coût très important de ce projet qui pose le plus problème : un investissement de 4,9 milliards d’euros est nécessaire. Lorsque le dossier est finalement relancé par la loi Macron du 6 août 2015 (alors ministre de l’Economie, de l’industrie et du numérique) - qui permet la création de la Société du canal Seine-Nord Europe (SCSNE) -, un montage financier est acté et, en mars 2017, les acteurs du projet s’entendaient sur la répartition des «frais». L’Union européenne serait prête à apporter 2 milliards d’euros, l’Etat un peu plus de 1,1 milliard, les collectivités locales 1,1 milliard, tandis que la SCSNE emprunterait 780 millions d’euros.
François Hollande a beau garantir que le projet est «irréversible», l’arrivée d’un nouveau locataire à l’Elysée rebat les cartes. En présentant son «plan climat», le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, annonce, le 6 juillet, une «pause» dans le grand projet. Le 19 juillet, le Premier ministre, Edouard Philippe, assure à son tour que ce projet «n’est pas totalement bouclé».
Le 3 octobre dernier, le ministre des Transports a accepté la régionalisation de la gouvernance de la société de projet, qui devient un établissement public local, même si l’Etat conservera une minorité de blocage. Lors de ce conseil de surveillance, Xavier Bertrand a été élu président de la SCSNE. Il attend désormais la confirmation du financement de l’Etat par écrit.